Paul Cleave est néo-zélandais, il est né à Christchurch en 1974. C'est là qu'il vit, c'est aussi là que vit son héros, Joe, plus connu sous le doux nom du Boucher de Christchurch. Comme Edimbourg chez Ian Rankin, la ville joue un rôle capital dans ce roman. D'ailleurs, suggérons à l'Office de tourisme, s'il a un brin d'humour, de reprendre la présentation qu'en fait le narrateur, Joe : "Christchurch. Pas du tout la Cité des Anges. La Nouvelle-Zélande est connue pour sa tranquillité, ses moutons et ses hobbits. Christchurch est connue pour ses jardins et sa violence. Lancez un sac plein de colle en l'air, et une centaine de candidats vont se piétiner pour pouvoir sniffer dedans." Je vous l'avais bien dit, un vrai prospectus touristique ! A la décharge de l'auteur, signalons qu'un des personnages du roman, la trop gentille Sally, exprime un peu plus loin une opinion beaucoup plus flatteuse pour sa ville. Mais peut-on vraiment la croire ?
Pour lire Un employé modèle, il faut avoir le cœur bien accroché. Pas à cause des scènes de violence : celles-ci sont bien présentes, mais racontées avec un tel calme qu'on s'en offusque à peine. Les montagnes russes commencent dès la dernière phrase de la deuxième page. Tout va bien, on ne s'en fait pas, un type rentre chez lui après une rude journée de labeur, il se sert deux bières bien fraîches et une part de pizza. Normal, cool. Quelques lignes plus loin, le cauchemar commence. Je ne vais pas vous gâcher le plaisir de la découverte... Mais attention, car dès ce moment-là, plus question de lâcher le livre.
Vous êtes dans la peau d'un serial killer, et ça n'est pas facile tous les jours... Joe Middleton est employé d'entretien au commissariat de la ville, où il passe pour un neuneu. Comédien hors pair, il manie la serpillière, avec aux lèvres un éternel sourire un peu niais. Pour les flics et le reste du personnel, il fait quasiment partie des meubles, sauf pour la gentille Sally, un peu bébête pour de bon elle, mais le cœur sur la main, qui s'offre un petit coup de foudre pour ce pauvre Joe qui lui rappelle tellement son petit frère mort. Jour après jour, la vie s'écoule pour Joe entre le balai, l'éponge et Sally, ponctuée par des visites à sa vieille mère veuve abusive, amnésique et fans de puzzles et par de passionnantes conversations avec ses meilleurs amis, Cornichon et Jéhovah, deux poissons rouges. A part ça... la routine : un petit meurtre par-ci par-là, il faut bien faire ses devoirs... Des meurtres particulièrement horribles et habilement préparés, qui sèment la terreur auprès des femmes de la ville. Joe n'a pas vraiment de critère : ses victimes peuvent être de bonnes bourgeoises ou des putes, le tout étant qu'elles soient là où il ne faut pas, quand il ne faut pas. Vu son lieu de travail, il est aux premières loges de l'investigation, qu'il suit minutieusement, surtout à partir du jour où un crime qu'il n'a pas commis lui est imputé. Là, vexé comme un pou, il prend le coup de sang et se met à enquêter pour de bon. Et comme il est loin d'être bête...
Des romans et des films en réalité subjective - Le meurtre de Roger Ackroyd, d'Agatha Christie, La dame du lac, de Robert Montgomery, en particulier, où Montgomery lui-même joue le rôle de Philip Marlowe - où on est dans la peau du tueur, on en a déjà vu et lu. Dans 90% des cas, on finit par se lasser de ce parti pris qui prend vite l'apparence d'un procédé et qui détourne notre attention de l'intrigue et de l'écriture. Là, Paul Cleave réussit le tour de force de nous embarquer sans qu'on aie le temps de se poser la moindre question sur la validité de la méthode. Plus fort encore, il fait passer son personnage du rôle de bourreau à celui de victime, ce qui lui permet de nous proposer, en quelque sorte, l'envers du décor. Très fort! Si on ajoute que l'écriture, tout en pirouettes, ne nous laisse pas souffler, et qu'en plus Cleave fait preuve d'un humour ravageur qui n'enlève rien à l'horreur de la situation, vous n'aurez plus d'autre choix que de filer ventre à terre chez votre libraire préféré.
Un employé modèle, de Paul Cleave, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Benjamin Legrand - Sonatine
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