Dans Le Syndrome E, Thilliez a eu la brillante idée de réunir ses deux héros récurrents, Lucie Hennebelle, la fragile et sombre flic de Lille, et Franck Sharko, le vieux briscard parisien traumatisé par son drame personnel. Le livre commence très fort avec un fonctionnaire archi-cinéphile, collectionneur, qui tombe sur une petite annonce proposant à la vente une impressionnante collection de vieux films. Sénéchal, c'est son nom, saute dans sa voiture et franchit les quelque 200 km qui séparent Lille de la ville belge où réside le vendeur. Il fait affaire, et se retrouve avec une cargaison de films qu'il va s'empresser de visionner dans la salle de cinéma privée qu'il s'est aménagée. Parmi les trésors se trouve une mystérieuse bobine sans étiquette, un court métrage. N'écoutant que sa curiosité, Sénéchal visionne le film... Bien mal lui en prend : il devient instantanément aveugle et appelle à la rescousse son ancienne petite amie qui n'est autre que Lucie Hennebelle, elle-même bloquée à l'hôpital au chevet d'une de ses jumelles malade.
A quelques centaines de kilomètres de là, entre Rouen et le Havre, des travaux mettent à découvert un véritable charnier, des cadavres martyrisés auxquels on a ôté le cerveau et les yeux. L'affaire est tellement mystérieuse, les indices tellement minces qu'il faut faire appel à Paris, plus précisément à Franck Sharko, ancien de la criminelle recyclé dans la psycho-criminologie. Quelques péripéties plus loin, les deux enquêtes finissent par quitter leurs voies parallèles pour se rejoindre, tout comme leurs enquêteurs respectifs. La rencontre fait des étincelles, mais on sent bien dès le départ qu'il y a quelque chose de commun entre ces deux êtres blessés. Quelque chose comme anguille sous roche...
A partir de là, le roman explose littéralement. On retrouve la fascination de Thilliez pour la recherche scientifique : l'énigme du film qui rend aveugle lui permet de s'orienter vers ce fameux Syndrome E, celui qui explique l'origine de la violence et sa propagation. En remontant à l'origine du film, les deux enquêteurs découvriront l'effarante histoire d'un cinéaste maudit qui tournait des films expérimentaux pour le moins glauques dans les années 50, période à laquelle a justement été réalisé le fameux court métrage.
Bien sûr, je ne vais pas vous raconter la suite. Vous saurez juste que les événements entraînent le lecteur au Caire, puis au Canada, et que Thilliez n'a pas lésiné sur les rebondissements puisqu'on découvrira que sont impliqués dans la machine infernale qu'il a concoctée rien moins que la Légion, les services secrets, la CIA, etc. Si certains ont pu reprocher à Franck Thilliez son manque d'ancrage dans l'histoire et la réalité mondiales, là on peut dire qu'il se rattrape, voire qu'il met les bouchées doubles. A vrai dire, j'ai eu la sensation qu'il en faisait un peu trop, trop de rebondissements tuant en quelque sorte la tension au lieu de l'accroître. Ceci dit, à part cette réserve, question suspense, rien à redire.
Mon problème avec Franck Thilliez, c'est d'une part le style : on a un peu l'impression qu'il écrit a minima. Moi j'aime bien qu'un auteur soit un peu exigeant envers son lecteur, qui n'est pas nécessairement un imbécile... Du coup effectivement, lire ce texte ne demande aucun effort, et ne fait guère appel à l'imagination. Tout est dit, exprimé, rien n'est suggéré. La peur est là, certes, mais contrairement à certains textes où l'effort qu'on fait pour les lire est récompensé par le fait qu'ils vous restent dans la tête longtemps, justement parce qu'ils ont su faire appel à notre propre imagination, à notre intelligence et à nos émotions les plus profondes, Le Syndrome E s'oublie vite, trop vite. En outre, la psychologie des personnages reste effleurée. L'évocation des obsessions des deux flics m'a fait penser à l'approche d'un Olivier Marchal, chez qui les flics sont tous victimes de leur métier, et nécessairement quasi-psychopathes ! A croire que ces humains n'ont que leur métier pour psychologie, ce qui serait quand même dramatique ! C'est la même chose ici : Sharko comme Hennebelle sont tous les deux traumatisés par leur vécu professionnel, mais en-dehors de cela ce qu'on sait d'eux ne donne guère l'envie d'en savoir plus. La scène de (presque) fin, où Thilliez présente comme le bonheur ultime un après-midi passé en famille sur une plage noire de monde, m'a agacée par sa banalité. Alors, me demanderez-vous, ça se termine bien ? Eh bien, pas vraiment... Les flics n'ont-ils pas droit au bonheur ? Pour le savoir (ou pas ?), vous n'avez qu'à lire la suite, qui s'appelle Gattaca
Franck Thilliez, Le Syndrome E, Fleuve noir
Le roman est également disponible en audio-livre chez Audiolib, lu par Michel Raimbault de sa voix grave et éraillée.
Hello amis polardeux.
RépondreSupprimerPas l'intention de lire du Thilliez, mais à lire cette chronique, le coup du film maudit me fait me demander si Thilliez n'a pas vu/ne s'est pas -fortement- inspiré du court-métrage de Carpenter réalisé dans le cadre de la série "Masters of horror", intitulé "Cigarette Burns" ("La Fin absolue du monde", en français). Même histoire du film qui tue... hum, hum...
Amitiés.