Vous en êtes à votre quatrième roman. Avez-vous la sensation d'écrire mieux, plus vite et plus facilement ?
Absolument pas plus vite ni plus facilement, au contraire. En fait, c'est plus difficile parce que je ne veux pas me répéter. C'est une obsession chez moi, à tel point que je fais des recherches par ordinateur dans mes manuscrits pour être bien sûr de ne pas utiliser la même expression d'un roman à l'autre. C'est aussi plus lent, pour la même raison, et également parce que je n'ai pas de personnage récurrent. Du coup, à chaque fois, c'est un univers à réinventer. Mieux... oui, j'espère ! J'ai davantage d'expérience, je suis plus confiant parce que maintenant je sais que je suis capable de terminer un roman. Et puis j'ai l'impression d'avoir davantage d'outils à ma disposition.
Quel effet cela fait-il d'être obligé de se replonger, pour les besoins de la promotion, dans un roman que vous avez écrit il y a longtemps déjà ?
C'est étrange. En ce moment, c'est vrai que je suis encore immergé dans le livre que j'écris, en fait je suis amoureux de ce livre. Alors je dois me concentrer pour retrouver l'état d'esprit dans lequel j'étais quand j'ai écrit Jusqu'à la folie. C'est également un exercice un peu nostalgique : à l'époque, j'avais davantage de cheveux ! En réalité, c'est un peu comme renouer avec une ancienne petite amie...
Jusqu'à la folie se déroule en grande partie dans le milieu médical. Comment vous êtes-vous documenté?
Principalement grâce à mon épouse Gabriella, qui est médecin. C'est elle, avec certains de ses collègues, qui m'a raconté comment se passaient les études, comment était la vie au quotidien à l'hôpital. L'histoire du double "Manuel de l'étudiant", celui, officiel, rédigé par l'école de médecine et celui, officieux, conçu par les étudiants, est bien réelle. Le quotidien du milieu médical est donc du contenu de première main ! Quant aux anecdotes, il s'agit de mélanges entre différents événements réels. J'ai pris le pire de chaque et j'ai tout mis ensemble !
Votre premier roman avait pour héroïne une femme. Souhaitez-vous renouveler l'expérience ?
Dans ce premier livre, l'intrigue ne tenait que si l'héroïne était une femme. Mais j'ai trouvé l'exercice horriblement difficile et épuisant, et je ne crois pas que je m'y risquerai à nouveau.
Jesse Kellerman et sa traductrice Julie Sibony
Quand vous commencez à écrire, l'intrigue est-elle déjà complètement construite pour vous.
Oui bien sûr, jusque dans les moindres détails. Sauf qu'à la fin, le livre est complètement différent. C'est systématique et c'est bien comme ça.
Pourquoi teniez-vous à ce que ce livre se déroule à New York ?
Cette ville est fascinante ! Et puis je me suis inspiré d'un fait divers qui s'est déroulé dans les années 60, l'histoire de Kitty Genovese. Cette jeune femme rentrait chez elle dans le Queens, tard le soir ou tôt le matin. Elle a été attaquée à coups de couteau et s'est mise à crier. Tous les habitants de l'immeuble se sont mis à la fenêtre, et personne n'a rien fait. La police n'a été appelée qu'une heure plus tard, Kitty avait été lardée de 17 coups de couteau. Cette histoire est effrayante, elle montre à quel point la vie dans une grande ville comme New York peut déresponsabiliser les gens. New York était un élément capital de ce projet. L'autre élément clé, c'était la formation des étudiants en médecine. Aux Etats-Unis, ces gens qui sont supposés soigner et aider reçoivent une formation qui les pousse à faire mal, à faire souffrir. C'est incroyable.
Quelles sont vos lectures ?
Pour me documenter, je lis des essais bien sûr. Pour mon plaisir, je lis de la fiction, peu importe le genre pourvu que ce soit bien écrit. Pour moi, la langue a une importance prépondérante. Cela vient sans doute de ma longue expérience de dramaturge : quand on écrit une pièce, on fait de la musique avec des mots. Qu'il s'agisse d'une expression sèche, saccadée, rapide comme chez Ruth Rendell, ou d'une écriture plus déliée, plus touffue comme chez Nabokov ou Tom Wolfe, j'aime les mots, j'aime l'inattendu. J'aime les voix. Quand on rencontre un nouvel auteur, c'est comme si on rencontrait un nouvel ami. On ne peut pas s'arrêter de lui parler !
Quel livre auriez-vous aimé écrire ?
Si je pense à mes factures, je dirais le Da Vinci Code. Plus sérieusement, ce serait certainement Feu pâle de Nabokov. Un tour de force : un homme décide d'écrire l'histoire de sa vie sous la forme d'un poème de 999 vers. Le roman est constitué du poème et de son commentaire par le voisin de l'auteur.
Dans Jusqu'à la folie, le style est plus rapide, plus brutal que dans Les visages.
C'est certain. Et bien sûr, c'est lié à l'histoire. Ce livre est beaucoup plus sexualisé. Il faut trouver la voix qui convient à l'histoire.
Pourquoi avez-vous choisi le genre thriller ?
Probablement en partie parce que mon père et ma mère écrivent des thrillers ! En fait, j'aime bien brouiller les pistes, j'adore les auteurs qui savent briser les barrières, comme John Fowles. Mon prochain livre est une sorte de satire de thriller. J'aime moderniser les formes traditionnelles.
Y a-t-il des projets d'adaptation cinématographique de vos romans ?
Oui, mais aucun n'a abouti. Vous savez, j'ai vécu toute ma jeunesse à Los Angeles et pour moi, le milieu du cinéma, c'est mensonge ! Bullshit ! Un script, un très bon script, a même été écrit. Mais toujours rien ! David Mamet dit que Hollywood est un véritable dépotoir humain... Je ne suis pas loin d'être d'accord avec lui.
Vous trouverez la chronique de Jusqu'à la folie début octobre ici même. En attendant, vous pouvez voir la bande annonce.
Jusqu'à la folie, de Jesse Kellerman, traduit de l'américain par Julie Sibony, éditions des Deux Terres - sortie le 5 octobre 2011
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