Vous avez aimé Mygale, de Thierry Jonquet, roman noir tout à fait terrifiant? Eh bien que cela ne vous empêche pas d'aller voir le dernier film de Pedro Almodovar, La piel que habito, avec un Antonio Banderas très en forme, très sombre et très sobre, de retour auprès du metteur en scène qui l'a révélé. Ce qui est formidable avec ce film, c'est qu'on y retrouve l'idée force du roman de Jonquet, mais que c'est résolument un film d'Almodovar, avec ses obsessions, sa mise en scène saisissante mais loin du spectaculaire, et même une retenue qu'on ne lui connaissait pas. Ceux qui ont été agacés par l'aspect un brin flamboyant et "hyper-émotionnel" de certains de ses précédents films seront agréablement surpris par La piel... Car avec un sujet pareil, il aurait été facile de friser le Grand Guignol.
Alors, ce sujet ? Le docteur Ledgard (Antonio Banderas) présente à ses confrères mi-horrifiés mi-admiratifs sa dernière victoire en matière de recherche : il a réussi à reconstituer la peau humaine grâce à des méthodes plus ou moins orthodoxes. C'est que Ledgard a une motivation très personnelle. Sa femme s'est suicidée quelques années auparavant, incapable de supporter la vue de son visage et de son corps littéralement laminés par des brûlures causées par un accident de voiture. Sa fille, traumatisée par un viol, a commis le même geste fatal quelque temps après. Depuis ce double deuil, Ledgard n'a de cesse de redonner vie à son amour perdu, et il ne recule devant rien (mais vraiment rien !) pour mener à bien à la fois sa vengeance et son délirant projet... Almodovar évite donc l'écueil du Grand-guignol avec habileté, et, formidablement servi par ses fidèles Banderas et Marisa Paredes, offre un film tendu comme un arc, malgré une construction en aller-retours dans le temps qui, chez d'autres moins virtuoses, aurait pu perdre le spectateur. Là, rien de tel. Là où Jonquet livrait l'histoire de façon plutôt linéaire, Almodovar s'offre des flash-backs qui lui permettent des rebondissements à tiroirs, et révèlent progressivement toute l'horreur de la situation. On y retrouve, peintes en noir, les thématiques d'Almodovar, l'ambiguïté sexuelle, les corps malmenés, fragiles mais magnifiés, les faces cachées du sentiment amoureux, la jalousie, la vengeance et le souvenir.
La piel que habito, de Pedro Almodovar, avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes, adapté du roman de Thierry Jonquet, Mygale
Bon d'accord c'est du Almodovar mais comme je n'ai pas suivi la carrière de ce metteur en scène je ne me lancerai pas dans les comparaisons avec les autres films. En revanche on est à des années lumière du livre de Thierry Jonquet, l'auteur de "Mygale" qui sert de point de départ à ce film. Dommage qu'il nous ait quittés dans la force de l'âge et de sa créativité en 2009. J'aurais bien voulu savoir ce qu'il aurait pensé de ce film car Almodovar a totalement gommé ce qui fait l'essence du texte: l'évolution lente et complexe de la psychologie du personnage principal au fur et à mesure de sa transformation, les rapports dominé-dominant avec le médecin qui en découlent et surtout une fin plus "thriller" que celle du film. Je vous recommande de lire le livre et de voir le film après. L'inverse brisant tout le suspens du texte très original de Jonquet.
RépondreSupprimerFRED