10 janvier 2012

La naissance du polar nordique avec Maj Sjöwall et Per Wahlöö

Depuis le temps que l'on (moi y compris) vous parle de polar nordique, j'ai eu envie d'un retour aux sources avec le couple d'auteurs qui, d'après certains, est à l'origine du genre. Maj Sjöwall et Per Wahlöö ont commencé leur carrière d'auteurs au milieu des années 60 avec les enquêtes de l'inspecteur Martin Beck. Per Wahlöö (1926-1975) a d'abord été journaliste, notamment dans le domaine des affaires criminelles. Son épouse Maj Sjöwall était éditrice. C'est dans le cadre de son métier qu'elle a rencontré son co-auteur et bientôt mari. Après quelques éditions en français, notamment chez Planète, c'est 10/18 qui a publié l'intégralité des enquêtes de Beck, dix volumes en tout, dans une traduction faite à partir de la version anglaise. Toute la série a d'ailleurs été republiée depuis chez Rivages/Noir. A la mort de Per Wahlöö, Maj Sjowäll a arrêté la série Beck et a co-écrit avec Tomas Ross, notamment La femme qui ressemblait à Greta Garbo, également paru en 10/18.


L'homme au balcon est la deuxième enquête de l'inspecteur Martin Beck. L'action se passe à Stockholm, et il ne faut pas oublier que le roman a été publié en 1967. En effet, ce qui frappe le plus quand on commence à lire, c'est la modernité de l'écriture, mais surtout l'actualité étonnante du contexte social et des thématiques... Tueur en série, pédophilie : tout est là, déjà, et à l'époque il n'était pas si facile de parler de ces choses-là. Nous sommes en juin, il fait chaud. Un tueur d'enfants sévit dans la ville. Trois petites filles sont violées et assassinées dans les parcs de Stockholm. Pas de témoins directs, pas de trace, aucun indice. Un vrai cauchemar... L'inspecteur Martin Beck et son équipe sont chargés de l'enquête, qui s'annonce difficile. Pas de pathos dans cette histoire, l'écriture est linéaire, elle raconte, constate, décrit les recherches, les enquêtes de voisinage, les tâtonnements. A cette époque, pas d'analyse ADN bien sûr... On est très loin des Experts.

Plus l'histoire avance, plus on est étonné par la réalité que décrivent les auteurs. A Stockholm, en 1967, la drogue fait des ravages, même chez les enfants de 12 ans... A Stockholm, en 1967, il y a de la pauvreté et des sans-abris, il y a de la violence. Il n'y a pas assez de budget pour la police. Les flics sont épuisés, ils ne dorment plus. Pire encore, ils n'arrivent pas à dormir. Et pourtant, à l'époque, la Suède passait pour un pays modèle, une sorte d'Etat Providence. Cruelle désillusion ! Dans ce roman, on n'apprend pas grand-chose sur la vie privée des protagonistes. On saura seulement que Beck est marié, et que sa vie de couple n'a rien d'épanouissant. Ce n'est pas un fêtard, loin de là. Sérieux, l'homme est attaché à la justice et à la morale Et s'il s'épuise au travail, c'est sans doute aussi parce qu'à la maison, la vie n'a rien d'exaltant. Son second, Léonard Kollberg, est plus jeune et plus heureux dans sa vie privée : lui et sa femme attendent un enfant. C'est peut-être le seul élément lumineux de ce roman sombre, franchement pessimiste.

L'enquête suit son cours, deux meurtres, puis trois. La panique commence à frapper les familles de Stockholm, la pression se fait insupportable, les flics culpabilisent d'autant plus qu'ils sont complètement perdus et s'égarent de fausse piste en faux coupable. A la fin, une véritable chasse à l'homme désespérée conduit les policiers à traquer le moindre vagabond, le moindre touriste égaré, partout, dans les péniches, les immeubles abandonnés... En vain: "Hagards, les yeux cernés, les policiers rentrèrent chez eux en titubant pour dormir quelques heures ; d'autres s'écroulèrent comme des arbres froudroyés sur les lits de camp ou les bancs des commissariats." Jusqu'au déclic. Pas de coup de théâtre, juste le souvenir d'un appel téléphonique de routine qui mettra enfin Beck sur la piste de l'assassin.
Ce n'est pas le suspense qui fait la force de ce livre. C'est l'apparente platitude de la narration, son rythme lent mais implacable jusqu'à l'accélération finale, qui recèle entre les lignes une tension insupportable, et une vision très dure de la société suédoise. Les spécialistes disent qu'il faut lire toute la série dans l'ordre. Eh bien, obéissons aux spécialistes : le premier roman, intitulé Roseanna, vient de prendre place dans ma pile.

Maj Sjöwall et Per Wahlöö, L'homme au balcon, traduit de l'anglais par Michel Deutsch

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