29 février 2012

Marin Ledun, auteur, témoin et combattant

Marin Ledun fait partie de mes auteurs préférés, parce qu'il observe, analyse, se révolte et finalement raconte le monde à travers des romans terriblement noirs, mais terriblement visionnaires. Comme en plus il sait construire ses intrigues, surprendre et passionner ses lecteurs tout en maniant la langue avec passion, nervosité et élégance, j'avais très envie d'en savoir un peu plus et de lui poser quelques questions. C'est chose faite, et voici ses réponses. Merci à lui.

Photo Jean-Bernard Nadeau, agence Opale

Né en 1975, Marin Ledun est romancier. Il a déjà publié sept romans noirs, dont Les visages écrasés (Trophée 813 du meilleur roman francophone 2011), Modus Operandi (Prix Plume libre 2008), La Guerre des vanités (Prix Mystère de la critique 2011) et Zone Est. Il écrit également des pièces radiophoniques pour France Culture.

Lire la chronique des Visages écrasés 
Lire la chronique de Modus Operandi 


Votre choix du polar est-il une réponse à la violence sociale qui nous entoure ?
Le roman noir n’est qu’une façon, parmi des centaines d’autres, d’observer et d’interroger la violence sociale, économique et politique. Il ne propose rien. Militer est une forme de réponse car c’est un acte collectif. Ecrire n’est qu’une manière de poser des questions, c’est un acte individuel.

Dans Visages écrasés , vous portez à son paroxysme la pression exercée par l'entreprise sur l'individu et aussi le monde qui l'entoure. Avez-vous subi des réactions agressives après la publication de ce roman?
Non, pourquoi ?

Souvent, dans les romans noirs à caractère combattant, l'aspect militant l'emporte sur le souci de l'intrigue et de l'écriture. Ce n'est pas le cas chez vous. Est-ce que ce risque fait partie de vos craintes quand vous démarrez un roman ?
Quelle que soit la forme littéraire retenue, un roman est là pour raconter une histoire, réaliste ou pas. Militer est une chose. Écrire, une autre. Un romancier n’est pas journaliste, essayiste ou pamphlétaire.

Comme beaucoup d'auteurs de votre génération, vous avez des activités artistiques parallèlement à l'écriture : musique, peinture... Comment expliquez-vous cette forme d'ouverture ?
Malheureusement, ce n’est pas mon cas. Je ne suis pas peintre, je joue un peu de guitare, mais je serais bien incapable de mener de front plusieurs « activités artistiques », comme c’est par exemple le cas pour l’excellent romancier Christian Roux, à la fois musicien et auteur de romans noirs. Écrire me prend tout mon temps et une bonne partie de mon énergie.

Voyez-vous cela comme une façon de renouer avec une certaine forme d'encyclopédisme à la Diderot, ou plutôt comme une nécessité de s'immerger toujours plus dans le monde, par tous les moyens possibles ?
Mais nous sommes tous immergés dans le monde, quoi que nous fassions (ou ne fassions pas), non ? Il ne me semble pas nécessaire d’écrire pour cela.

Quelles étaient vos lectures quand vous étiez adolescent ?
Leblanc, Pérec, Caldwell, Hemingway, Tolkien, Asimov…

Quelles sont les premières lectures qui vous ont attiré vers le genre policier ?
Les Lettres à Franca de Louis Althusser.

Est-ce pendant vos études que vous est venu le désir d'écrire des romans, ou après ?
J’étais déjà salarié pour France Télécom Recherche &Développement, à cette époque. Mes études étaient terminées depuis deux ans.

Votre formation scientifique a-t-elle une influence sur votre façon de travailler (construction,méthode, recherche...)?
J’imagine que oui, mais j’ignore en quoi précisément. Peut-être dans le fait que, quand je lis ou j’écris, je considère la partie technique d’un roman (la construction du suspense, par exemple) comme un simple outil de travail, tandis que je vais porter toute mon attention et mes heures à la construction des personnages, aux dialogues, au décor, et à la représentation du monde qu’ils véhiculent.

Comment vous sentez-vous dans le monde des auteurs de polar français ? Avez-vous la sensation d'être très spécifique, ou bien de travailler dans le prolongement de ce qu'on appelle le néopolar, en termes d'approche politique ?
Plutôt bien, je vous remercie. Je n’ai pas d’autre sensation particulière, si ce n’est de faire de belles rencontres et de découvrir qu’il existe mille manières d’écrire et de raconter une histoire.

Que pensez-vous de l'éternelle guéguerre polar / roman noir / thriller ? Y a-t-il une vraie guerre des genres ou bien estimez-vous qu'il existe de bons auteurs dans ces trois genres?
Je crois que cette « guéguerre » n’existe pas. Ou plutôt qu’elle est insignifiante, microscopique. Le genre n’est qu’un outil d’écriture parmi tant d’autres. Ce n’est pas la catégorisation d’un rayonnage de grande surface qui fait la qualité d’un roman, mais son auteur.

Pensez-vous qu'il existe une tendance du thriller à recourir à des arguments “clientélistes” (tueurs en série, violence extrême, gore...) pour conquérir des lecteurs ?
Cela paraît une évidence, mais encore une fois, peu importe. Une autre question pourrait être : qu’est-ce que tel ou tel roman/thriller apporte de nouveau ou de riche, par sa technique, par sa manière d’aborder un sujet, par les représentations qu’il véhicule, etc. ?

Pensez-vous que l'extrême violence soit compatible avec une réflexion sociale, morale ou esthétique ?
Le monde est violent, cela n’a donc rien d’original. Le recours à la violence est un procédé littéraire comme un autre. Il doit être justifié par l’histoire que l’on raconte et l’époque que l’on choisit de raconter. Je vois mal par exemple comment un romancier pourrait aujourd’hui parler du monde du travail en évacuant la violence qu’il engendre, même s’il le fait avec humour.

Vos thèmes sont toujours liés à l'actualité, à l'air du temps. Auriez-vous envie d'écrire, par exemple, un roman qui se déroulerait dans le passé ?
Pourquoi pas.

Comment se construisent vos romans ? A partir d'un thème, d'une histoire, d'un personnage ?
D’une question. Pour La guerre des vanités , par exemple : comment est-ce que la consommation transforme les manières de voir le monde d’une génération, celle née à partir de la fin des années 80 ?

Travaillez-vous en sachant exactement avant de démarrer comment va se dérouler le roman ? Ou bien changez-vous souvent d'orientation ou de désir en cours d'écriture ?
A partir de ma question de départ, j’ai une idée très précise de ce que je vais raconter ensuite afin de pouvoir l’illustrer.

Question indiscrète, mais à laquelle vous n'êtes pas obligé de répondre : sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Une pièce radiophonique pour France Culture, intitulée La cigarette.

Quand paraîtra votre prochain roman ?
Il s’agit d’un thriller, intitulé Dans le ventre des mères , qui paraîtra fin septembre 2012, aux éditions Ombres Noires.

Avez-vous d'autres projets en dehors de la littérature (musique, peinture...)?
Vivre.

Les romans de Marin Ledun
Modus operandi, Au Diable Vauvert, 2007
Marketing viral, Au Diable Vauvert, 2008
Le cinquième clandestin, La Tengo, 2009
La guerre des vanités, Gallimard, (Prix Mystère de la critique 2011), Série noire, 2010
Un singe en Isère, Baleine, Le Poulpe, 2010
Zone Est, Fleuve Noir, « Thriller », 2011
Les visages écrasés, Le Seuil, « Romans noirs », 2011 (Trophée "813" du meilleur roman francophone  2011)

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