6 avril 2012

Avec "Film noir à Odessa", William Ryan confirme : c'est un grand auteur

Ici, au Blog du polar, on avait adoré son premier livre paru en France, Le royaume des voleurs (voir chronique). Le Capitaine Korolev, héros récurrent de Ryan, exerce ses talents de flic dans l'URSS des années 30, c'est dire que la situation est... un peu particulière. Dans ce deuxième volet des enquêtes de Korolev, on l'appelle près d'Odessa pour enquêter sur le suicide d'une jeune femme, Lenskaya, qui entretenait des relations avec un haut responsable du Parti. L'enquête doit être discrète, pas question de compromettre l'huile soviétique. Alors voilà Korolev parti à Odessa, retrouver l'équipe du film dans laquelle travaillait la victime. A l'époque, on ne prenait pas l'avion comme on prend le bus. Et pourtant, c'est en avion que notre flic préféré va faire le long trajet de Moscou à Odessa, et je peux vous dire que ça n'est pas en classe affaire!
Après ses exploits relatés dans Le royaume des voleurs, Korolev s'est taillé une belle réputation de fin limier et d'habile politique. Mais il n'est rien de plus fragile qu'une bonne réputation sous Staline. Et l'affaire dans laquelle il s'embarque présente toutes les caractéristiques d'un sac de nœuds susceptible de déboucher sur un séjour tous frais payés dans les froides geôles soviétiques, voire au Goulag. Car non seulement la jeune femme ne s'est pas suicidée, mais en plus elle n'était pas tout à fait celle qu'elle prétendait être... C'est donc sur la pointe des pieds que Korolev débarque dans l'immense maison louée par l'équipe de tournage. La description de l'Ukraine affamée, agonisant sous le joug de la terreur stalinienne, est particulièrement lucide et documentée. En fait, elle fait froid dans le dos.
Ryan est un narrateur hors pair : il parvient à nous apprendre l'histoire (ou à nous rafraîchir la mémoire) sans tout à fait en avoir l'air. Sa description de la Russie de l'époque est saisissante, et Korolev, bon flic et bon citoyen, est la parfaite incarnation de l'homme de bonne volonté qui a compris qu'il vit dans un monde où trop réfléchir nuit... Il passe beaucoup de temps à essayer de ne pas écouter sa conscience, et encore plus à penser à son fils, exilé loin de Moscou, et qu'il espère retrouver sous peu. Écartelé entre sa conscience de policier et sa lucidité de serviteur de l'État, il n'hésite pourtant pas à fraterniser avec le Roi des voleurs si ce dernier peut le mettre sur la piste de la vérité. Au fil des pages, le personnage nous devient de plus en plus proche, on a peur pour lui, pour un peu on lui soufflerait à l'oreille quelques conseils de sagesse... Dont il se passe très bien, puisque bien sûr il saura encore une fois faire éclater la vérité, et s'épargner le pire. Sa force de caractère étonnante lui permet de supporter l'insupportable - par exemple la scène du début où il recherche un homme dans un camp de travailleurs où 500 êtres humains sont parqués dans une sorte de hangar ouvert à tous les vents (et on sait qu'ils sont froids sous ces latitudes).
Korolev est devenu un vrai héros romanesque, il a gagné avec ce deuxième roman une épaisseur, une humanité, et même un sens de l'humour désespéré qui confère au texte une séduction irrésistible. Film noir à Odessa est un vrai roman noir, historique et politique. De ceux qu'on n'oublie pas.
Film noir à Odessa, de William Ryan, traduit de l'anglais par Jean Esch, éditions des Deux Terres

2 commentaires:

  1. a noter que le royaume des voleurs sort en poche ce mois ci ! moi qui ne l'ai pas encore lu, je compte bien me rattraper ce coup ci ^^

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  2. Petite Souris, j'espère que tu vas aimer. Pour moi, ça a été une vraie découverte, peut-être LA découverte de 2011. Bonne lecture !

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