17 juin 2012

Avec les Rois écarlates, Tim Willocks met en scène une croisade métaphysique

Troisième roman de Tim Willocks, Les rois écarlates tient à la fois du thriller métaphysique, de la croisade baroque et du western de vengeance. L'un des personnages principaux, le docteur Cicero  Grimes, est un chirurgien psychiatre en pleine dépression qui vit dans une ancienne caserne de pompiers à la Nouvelle-Orléans, au milieu des détritus. Il ne sort plus que pour s'acheter de quoi survivre, passe son temps à cuver ou à dormir, et on comprend bien qu'il lui est arrivé quelque chose de franchement traumatisant.
Il est tiré de sa torpeur vénéneuse par la visite d'un avocat venu lui apporter une lettre posthume de son ennemi juré, le Capitaine Clarence Jefferson. Un flic bien corrompu qui l'a torturé pour le contraindre à livrer son propre frère, Luther, coupable d'avoir délesté  une banque d'une bonne partie de ses avoirs. La lettre est accompagnée d'un billet d'avion que Jefferson lui conseille fortement d'utiliser très vite au cas où il n'accepterait pas la mission qu'il lui confie, à savoir récupérer deux valises remplies de documents ultra compromettants pour bon nombre d'huiles du sud des Etats-Unis, et les confier à la presse. Pour compliquer les choses, Jefferson ne lui livre qu'une partie des informations. Le reste étant entre les mains d'une certaine Lenna Parillaud,veuve du milliardaire Filmore Eastman Faroe, femme d'affaires richissime, que Grimes devra rencontrer s'il veut mener à bien le défi que lui lance Jefferson. Voilà, vous avez fait la connaissance des personnages principaux. Quoique... Le personnage principal de ce roman, c'est en fait le mal, incarné par l'incroyable Jefferson, ce flic au destin funeste dont vous découvrirez petit à petit la nature, la faculté de nuisance et, au bout du compte, l'ambiguïté  majeure. Côté personnages secondaires, on est bien gâtés aussi avec le vieux George Grimes, père du bon docteur et casse-cou majeur ; Ella, chanteuse de jazz qui va payer le prix fort pour découvrir ses origines ; Titus Oates, roi de la contrebande et du pilotage d'avion, fasciné par l'islam; le chien Gul, miraculeusement échappé d'un massacre, et qui connaîtra une seconde vie héroïque.

Il ne s'agirait pas d'oublier les lieux où s'enracine le roman, et qui jouent un rôle pratiquement aussi important que les humains qui entrent en action, comme mus par un marionnettiste invisible. La Maison de pierre, cube de béton qui recèle en son sein une effroyable prison. Et puis la Vieille Maison, Arcadia la mal nommée, là où naquit le mal qui gangrène la vie de tous ces personnages.

Sur fond de Sud des Etats-Unis, entre Louisiane et Georgie, cette croisade cruelle et violente, à la poursuite d'un idéal de vérité qui ne sera atteint qu'au prix de multiples trahisons, ratages et explosions de violence, laisse une trace qui dépasse largement le déroulement de l'intrigue. Willocks a un véritable génie pour alterner les descriptions d'actions hyper-réalistes avec les envolées sombres et quasi mystiques qui accompagnent les passages sur Jefferson, un personnage où le génie le dispute à l'horreur. Souvent, dans les scènes d'action de la littérature, on a bien du mal à visualiser les mouvements des protagonistes. Là, pas besoin d'efforts pour visualiser les actes, les gestes, les changements de position: Willocks les décrit avec un tel réalisme qu'on se croirait devant un écran de cinéma. Le fait qu'il soit également scénariste et cinéphile n'est sûrement pas étranger à l'affaire. Quant à l'aspect métaphysique du roman, il est particulièrement bien exprimé dans ce passage, vers la fin du roman, où Willocks pose LA bonne question : la grandeur se dissout-elle dans le mal? La grandeur dans le mal est-elle encore la grandeur ? Ne comptez pas sur ce roman où l'amour n'est jamais heureux, où la solitude est toujours au bout du chemin, où la douleur règne en maître, pour vous donner une réponse définitive. Mais la question, à coup sûr, n'a pas fini de nous obséder.

Tim Willocks, Les rois écarlates, traduit de l'anglais par Elisabeth Peellaert, éditions de l'Olivier, également disponible en Points "Romans noirs"

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