7 avril 2013

Jean Gabin ou le polar à la française des années 30 à 76


Des sites sur Jean Gabin, il y en a déjà des dizaines sur la toile mais l'opportunité de voir ou revoir un bon nombre de films dans lesquels il a joué me donne l'occasion de réaliser ce long article en hommage à cet acteur emblématique d'une époque. C'est un collectionneur passionné qui m'a permis de visionner quelques pépites de sa vidéothèque concernant Gabin, concoctée au fur et à mesure des passages sur les chaînes publiques et par l'acquisition de dvds. Une vingtaine de films qui retracent une bonne partie de la carrière de l'acteur en nous plongeant dans l'histoire cinématographique depuis les années 30. Des images pour la plupart en noir et blanc qui ont le charme des longs métrages du temps du ciné-club en nous faisant revivre un temps fascinant que les moins de 20 ans... Vous connaissez la suite ! Voici pour vous faire une idée quelques incontournables qui démontrent que les réalisateurs français n'ont rien à envier à leurs confrères d'Outre Atlantique en ce qui concerne le polar.

Un festival du noir... et même du blanc. 

Commençons avec Le quai des brumes, de Marcel Carné réalisé en 1938. De brumeux le film n'en a pas que le titre car tout est dilué dans un brouillard esthétique qui cache des cœurs brisés et des durs à l'âme sensible. Une ambiance sombre que perce difficilement un soleil tout aussi gris qui voile la ville du Havre en pleine effervescence. Gabin joue ici le rôle d'un déserteur de l'armée coloniale qui tente de s'embarquer vers des cieux meilleurs. Le hasard d'une rencontre va le conduire dans un troquet au bord de l'eau qui tient plus d'une cabane déglinguée que d'un bar à marins. Il va y croiser une jeune fille mélancolique qui tente de fuir un tuteur assassin et pervers. Un peintre neurasthénique qui abandonne son paquetage et ses papiers d'identité pour aller se perdre en mer, un poivrot rigolard qui balance entre un verre et une chambre pour dépenser son modeste pécule, et enfin un gangster humilié qui semble surtout habitué à recevoir des claques sans broncher. Au départ de ce film emblématique d'une époque particulièrement créative pour le 7e art français il y a un roman de Pierre Mac Orlan adapté par Jacques Prévert pour Marcel Carné. Ajoutez une distribution hors pair avec Jean Gabin, Michèle Morgan, Michel Simon, Robert le Vigan et Pierre Brasseur et vous avez la recette du succès qui fut immédiat. Les spécialistes et critiques ne tarirent pas d'éloge jusqu'à récompenser le film par le Prix Louis-Delluc la même année. Ce monument du cinéma d'avant guerre, la seconde bien sûr, est dans la veine du réalisme poétique et offre un rôle en or pour Gabin qui annone ses répliques d'un ton doucereux si particulier qui fit son charme dans la première partie de sa carrière. Ceux qui se demandent encore d'où vient la fameuse réplique « T'as d'beaux yeux, tu sais ! » trouveront la réponse vers la moitié du film qui se termine tragiquement comme il se doit dans les histoires d'amour qui finissent mal... en général !

Après ce moment d'anthologie, sautons dans notre machine à remonter le temps direction l'année 1957 pour découvrir Le Rouge est mis de Gilles Grangier. Un film qui réveille car la violence est au centre de ce polar noir dans lequel Gabin et ses comparses, dont Lino Ventura en flingueur à la gâchette légère, n'hésitent pas à tirer dans le tas même sur des cibles innocentes pour réussir un casse. Gilles Grangier et Gabin, voilà un duo qui fait recette une fois de plus surtout avec des dialogues de Michel Audiard comme il se doit. On retrouvera avec plaisir Marcel Bozzuffi qui interprète le rôle du frère tricard du chef de gang interprété par Gabin. Parmi les répliques clin d'œil du film, Gabin plutôt énervé évoque Annie Girardot qui joue la petite amie volage de son frère, comme une peau de saucisson. Cela sent le Audiard à plein nez ! La fin est quant à elle plutôt surprenante avec une confrontation sans merci entre Gabin et Ventura qui s'entretuent dans les escaliers d'un immeuble.

Place enfin à la couleur avec Le Clan des Siciliens de Henri Verneuil qu'il réalisa en 1969. Ah! Delon quand tu nous tiens. Bien que Gabin joue à la perfection le rôle d'un patriarche sicilien qui tient sa famille d'une main ferme et implacable, c'est bien Alain Delon qui crève l'écran dès les premières minutes. Verneuil est un metteur en scène qui connait son affaire et réalise des films à suspens efficaces et astucieux. Ici il met met en scène l'atterrissage d'un jet sur une autoroute qui est resté dans les mémoires. En revanche cela sent un peu le montage cinématographique typique de cette époque avec l'association Delon, Ventura et Gabin qui ne peut que plaire à un public qui aime se distraire sans trop réfléchir le samedi soir après une dure semaine de labeur. On a en plus droit à un peu de tourisme en Italie et au USA et juste ce qu'il faut de dialogue bien ficelé pour que la sauce monte. Glissez en plus une jolie fille déshabillée pour les messieurs et vous avez la recette idéale du succès. Mais ce qui m'a le plus amusé c'est la scène où un gamin qui a assisté par mégarde à l'infidélité de sa tante voit une scène d'amour sur un écran et lance à la cantonade « c'est comme tata avec le monsieur ! ». On sait alors que cela va finir dans le sang !

Si on faisait un tour du côté du Quai des Orfèvres 

Maigret voit rouge de Gilles Grangier, avec une mise en scène conventionnelle aux polars de l'époque, est avant tout une distraction de série B. Clin d'œil pour amateur de bons vieux polars des années 60 on sourira de la prestation de Michel Constantin en tueur made in USA doublé pour l'occasion pour faire croire qu'il parle anglais. A noter aussi le charme de Françoise Fabian en fille à gangster au cœur tendre qui apporte une touche féminine indispensable à ce film noir qui joue un peu trop la partition des durs à cuire. Le commissaire Maigret est en plus un poil vieillissant, peut-être même trop blasé, la démarche fatiguée et le chapeau vissé sur la tête pour dénouer tant bien que mal cette  affaire de disparition qui trouve son dénouement dans une poursuite impitoyable avec coups de feu et bagarres à l'américaine. Constantin nous fait même une démonstration de judo digne d'un James Bond. Ce film pâtit pourtant de l'absence d'un dialoguiste du niveau de Michel Audiard qui aurait pu ajouter la petite touche qui fait la différence d'autant plus qu'il a fait équipe avec Grangier à plusieurs reprises.

Avec Maigret tend un piège. Jean Delannoy nous offre une vision très noire et réaliste des habitants d'un quartier de Paris où sévit un tueur en série. Son film est sombre au vrai sens du terme. Les images sur le mode clair obscur avec des ombres marquées, des ruelles profondes et angoissantes qui mettent en valeur des personnages tordus et schizophrènes à souhait. La psychologie tient le premier rôle dans ce suspens dont chaque plan est travaillé par un grand chef qui sait exactement quand placer ses ingrédients. Delannoy est un homme d'images et cela se sent particulièrement dans ce Maigret cuisiné avec talent et brio. Autant le premier film de Grangier est réalisé "à l'arrache" autant celui-ci est mis en scène dans le subtil sans trop abuser de plans complexes qui pourraient agacer en ajoutant un côté artificiel au récit. Ce film ne lasse jamais car il serait bien étonnant que vous n'y trouviez à chaque visionnage quelque chose de nouveau qui vous aurait échappé la fois précédente telle que la présence de Lino Ventura dans le minuscule rôle de l'inspecteur Torrence et comme pour faire un bras d'honneur aux conventions de l'époque, on aperçoit une fille aux seins nus dans un encadrement de porte lors d'un interrogatoire chez un danseur mondain plus ou moins impliqué dans cette triste affaire. Les mauvaises langues pourraient rétorquer que Delannoy s'est s'égaré en filmant un trop grand décalage entre le Maigret du quotidien que l'on voit chez lui en chemise et charentaises avec sa chère Louise en robe de chambre, trainer devant la télé qui distille les infos d'été de Claude Darget, et celui en costume, soigné impeccable et implacable, qui fait avouer les coupables grâce à une parfaite maîtrise de la psychologie. Parmi les nombreuses interprétations de Maigret c'est probablement celle de Bruno Cremer pour la télévision qui tend vers le plus vers l'idéal. Enfin j'allais aussi oublier d'évoquer la participation de Michel Audiard au scénario de Maigret tend un piège et cela se sent dès les premières répliques de ce film qui nous a piégé corps et âme pour le plaisir des yeux et des oreilles.

Maigret et l'Affaire Saint-Fiacre, film franco-italien adapté du roman de Georges Simenon, est une bonne interprétation de Jean Gabin du célèbre commissaire parisien sous la direction de Jean Delannoy en 1959. Cette triste affaire est située dans la région de Moulins, encore sous le joug de lourdes traditions provinciales entre bigoterie et cupidité. Elle donne l'opportunité au commissaire de se souvenir d'une enfance lointaine que Jean Gabin fait revivre avec gourmandise lorsqu'il visite la sacristie ou l'épicerie du village, des lieux qui l'on connu en culotte courte. l'Affaire Saint-Fiacre est l'occasion de nous montrer les arcanes d'une noblesse décadente, fin de race pitoyable, qui se laisse aller aux derniers outrages dans un pays d'envieux. Jean Delannoy, en artisan d'un cinéma réaliste de qualité, restitue à la perfection cette ambiance misérable à travers le décor froid et gris du château vidé de son contenu artistique pour alimenter les frasques d'un jeune comte volage (Michel Auclair) toujours aux aboies et d'un secrétaire particulier (Robert Hirsch) qui n'hésite pas à donner de sa personne pour en tirer bénéfice. L'enquête est menée tambour battant par un policier pourtant vieillissant dont les pas crissent sur les graviers des allées sinistres sous un ciel de plomb jusqu'à la confrontation finale façon Agatha Christie. Tous les protagonistes se retrouveront lors d'un diner mémorable aux dialogues aiguisés signés par Michel Audiard et au cour duquel Maigret règle des comptes restés en suspend avec cette bourgeoisie provinciale qu'il exècre. Il finira même par se défouler dans une scène d'anthologie sur un jeune homme (Serge Rousseau) qu'il trainera par le col au pied du cercueil de la défunte pour lui faire avouer son crime dans une repentance expiatoire.

La grande époque du polar du samedi soir

Avec Gas-oil de Gilles Grangier en 1955 on découvrira la vie des routiers au temps des vieux camions crachant la fumée noire de leur Diesel assourdissant. Gabin interprète le rôle de Jean Chape, un chauffeur routier endetté qui pense avoir écrasé un homme sur le bord d'une route. Il sera aux prises avec une bande de malfrats qui imaginent à tort qu'il leur a volé leur magot disparu avec la victime de l'accident. Parmi les moments clefs du film, une poursuite en camion sur des routes de montagne entre les bandits et les confrères de Gabin qui se mettent de la partie pour défendre leur ami. On retrouvera aussi avec plaisir Jeanne Moreau, la petite amie du routier en institutrice raisonnable qui a déjà une douzaine de films à son actif lors du tournage de ce polar. Les seconds rôles incontournables sont nombreux et se retrouvent dans la plupart des films de cette époque. De plus Gas-oil marque la première collaboration cinématographique entre Gabin et Audiard qui donne le ton à ce film typique des années 50. Si le scénario en lui-même n'est pas très sophistiqué, le rythme rapide de la narration et le de récit à suspens mis en valeur par un noir et blanc brumeux à souhait ne manquera pas de ravir les amateurs du genre et fera une agréable première partie de soirée.

Place au morceau de bravoure avec Voici le temps des assassins de Julien Duvivier tourné en 1956. Un thriller qui dévoile un face à face mortel entre Danièle Delorme et Gabin dans le milieu des restaurateurs parisiens. Le film lui aussi en noir et blanc se déroule dans le quartier des Halles à une époque où les camions traversaient encore Paris au petit matin pour livrer leurs cageots de légumes. Mélangeant images de type documentaire à la fiction tournée en partie en décor naturel rue Mondétour le metteur en scène nous fait suivre le parcours machiavélique d'une jeune femme qui se présente comme étant Catherine, fille de la première épouse de Chatelin interprété par Gabin. Mal lui en prend de s'attacher à cette manipulatrice au charme indéniable puisqu'il ira même jusqu'à l'épouser pour son malheur et celui de ses proches. Ensuite tout bascule dans l'horreur avec son lot de perversité et de drames dont l'apothéose ira jusqu'au meurtre. Ce film est typique du genre avec une narration de Duvivier et une musique de Wiener qui va crescendo en dévoilant lentement mais sûrement la vraie nature des personnages. Gabin y est magistral comme à l'accoutumée et Danièle Delorme passe de la petite fille fragile à la manipulatrice sans scrupule pour le plus grand bonheur du spectateur qui tremblera sur son canapé jusqu'à la dernière minute.


Polar et humour

Le Cave se rebiffe en 1961, de Gilles Grangier d'après une histoire d'Albert Simonin raconte une affaire de faux-monnayeurs amateurs qui font appel à un spécialiste, le "Dabe" joué par un Gabin aux formes et à la verve généreuses qui jongle avec les mots de Michel Audiard qui restent gravés dans la mémoire des spectateurs. On raconte que le tournage se fit dans la bonne humeur et cela se sent tout au long du film à voir impérativement en noir et blanc qui permet à Maurice Biraud "le cave" de se rappeler à notre mémoire dans l'interprétation d'un graveur talentueux et cocufié par Martine Carol. Voici un acteur de second rôle resté dans l'ombre du cinéma des années 60 et qui pourtant avait un talent qui aurait dû lui ouvrir grandes d'autres portes. Quant aux spécialistes d'Audiard, ils sont unanimes pour dire que ce film incontournable fait partie des meilleurs du genre même s'il aligne une réplique d'anthologie toutes les cinq minutes.

Frédéric

1 commentaire:

  1. Mon préféré : Le cave se rebiffe

    http://www.monbestseller.com/manuscrit/on-a-tu%C3%A9-la-m%C3%A8re-michel

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