En 1992, quand paraît son premier roman Une femme dangereuse, Martina Cole a 33 ans, et sa vie n'est pas un lit de roses. Née de parents irlandais, dans une famille de 5 enfants, elle se fait renvoyer de son école religieuse à 15 ans, se marie à 16, divorce à 17, a son premier enfant à 18 avec un homme qui n'est pas son mari, déjà évaporé dans la nature, et vit dans des conditions plus que précaires. Petits boulots : serveuse, manutentionnaire en supermarché, femme de ménage. Martina est punk, tellement punk que les touristes japonais la photographient avec son fils tellement elle est... pittoresque. Ce livre, elle l'a écrit longtemps auparavant, à l'âge de 20 ans. A 20 ans, elle a autant d'expérience de la vie qu'une quadragénaire qui aurait bien bourlingué. A 33 ans donc, elle se décide à envoyer son manuscrit à un agent qu'elle ne connaît même pas, et qui lui décroche un à-valoir phénoménal pour l'époque. Paf, le livre se vend à des millions d'exemplaires, est traduit en plusieurs langues, Martina est RICHE.
A lire, l'interview de Martina Cole sur le site de l'Independent
Et le conte de fées continue : à chaque roman - elle en publie un par an depuis 1992 -, c'est le succès assuré, les adaptations télé, les traductions en 29 langues, les sacs à main à 7000 £... Fayard vient de republier ce premier roman dans une toute nouvelle traduction, c'était l'occasion rêvée d'essayer de comprendre le phénomène Martina Cole, celle qui affirme sans complexes : "Je sais que ce que j'écris n'est pas de la littérature."
Le roman commence en 1950. La famille Ryan accueille la première fille de la fratrie, l'adorable Maura. D'emblée, Martina Cole nous balance une scène d'accouchement difficile pas piquée des vers. Bébé Maura devient bientôt la mascotte de la famille (les parents Sarah et Ben, les frères Michael, Geoffrey, Anthony, Leslie, Benny, Garry). Inutile de dire qu'avec une telle quantité de rejetons, les Ryan ne roulent pas sur l'or. Michael, l'aîné, l'a bien compris, qui commence déjà à se faire quelques sous chez le bookmaker du coin. Bientôt, ses petits frères lui emboîteront le pas, et Michael n'aura de cesse de gravir les échelons du crime, les entraînant à sa suite.
Et Maura dans tout ça ? Maura, 17 ans, belle plante blonde, tombe amoureuse. Problème, c'est un flic qu'elle a choisi. Pire, elle se retrouve enceinte. Enceinte à 17 ans, et d'un flic en plus, c'est beaucoup. Maman Ryan va s'empresser de prendre les choses en main : cet enfant n'a pas le droit d'exister. Et pour la deuxième fois, Mme Cole nous inflige une scène absolument abominable, celle de l'avortement. Le ferait-elle exprès ? Serait-elle en train de nous pondre un brûlot féministe? On n'en pas si loin finalement... Maura se retrouve à l'hôpital entre la vie et la mort, elle n'aura plus jamais d'enfant. Et là commence une métamorphose époustouflante : Maura la jolie, la tendre, devient le bras droit de son frère Michael, et plus encore. Car elle est intelligente, Maura, elle sent des choses que même son frère aîné ne discerne pas. Et elle a de l'ambition à revendre. Au cours de cette ascension irrésistible, Maura et sa famille laisseront des plumes, et pas des moindres. La mort est au coin de la rue, la violence est extrême, et Maura n'est pas la dernière quand il s'agit d'employer les grands moyens pour faire parler un traître.
La peinture de la pègre londonienne des années 60 à 80 est impitoyable, crue, décapante. Corruption des flics et des politiques, trahison des plus proches, guerre des gangs. Londres, Chicago, même combat. Martina Cole ne fait pas dans la dentelle, son style est simple, direct, brut de décoffrage. Le vocabulaire est fleuri, les dialogues particulièrement réussis, la peinture du temps qui s'écoule et des évolutions sociales plutôt habile. On comprend pourquoi ce destin de femme, écrit par une femme,a rencontré à sa sortie un succès immédiat. Et surtout, si l'on songe que c'est une fille de 20 ans qui a écrit cette fresque criminelle, on n'ose imaginer ce que vont être ses romans suivants. Un petit bémol plutôt attendrissant : le côté fleur bleue, presque harlequinesque, de l'intrigue amoureuse, et la maladresse presque touchante des scènes de sexe. Alors ce qu'a fait là Martina Cole, ce n'est peut-être pas de la littérature, mais c'est quand même un sacré roman.
Martina Cole, Une femme dangereuse, traduit de l'anglais par Stéphane Carn, Fayard noir
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