1911 : les Français découvrent le premier épisode d'une série romanesque signée Pierre Souvestre et Marcel Allain. Son titre : Fantômas. Dès ce premier épisode, le trio des personnages principaux fait mouche. L'inspecteur Juve, policier solitaire, opiniâtre et monomaniaque, n'a qu'un but dans la vie : mettre hors d'état de nuire Fantômas, personnage aux multiples visages, capable des pires atrocités, cynique absolu et génie du crime. Le journaliste Jérôme Fandor, seul ami de Juve, intrépide, parfois inconscient, sportif, sert de "jambes" à Juve qui lui voue une amitié quasi-paternelle. Ce premier roman sera suivi de plus de 30 autres, toujours co-signés Allain et Souvestre. A partir de 1926, après la mort de Souvestre, Allain reprend le flambeau tout seul et produit encore 11 épisodes dont le dernier, Fantômas mène le bal, paraît en 1963, toujours chez Fayard.
La série connaît un beau succès populaire, mais fascine également des intellectuels comme Jean Cocteau, Blaise Cendrars, les surréalistes, Robert Desnos ou Pablo Neruda. C'est Louis Feuillade qui, dès 1913, réalise au cinéma l'adaptation de Fantômas et des quatre romans suivants (Juve contre Fantômas, Le mort qui tue, Fantômas contre Fantômas et Le faux magistrat) sous la forme de films de long métrage, dont le plus long, Le mort qui tue, dure 95 mn. Les films remportent un succès phénoménal, à tel point que le personnage de Fantômas devient un véritable fantasme populaire...
Deux ans plus tard, Feuillade récidivera avec les formidables Vampires, dont l'héroïne, la mythique Musidora dans le rôle de la maléfique Irma Vep, marquera cinéphiles et... féministes. Les Vampires seront même interdits un temps à la projection par la préfecture de police, lasse de voir ses troupes ridiculisées sur grand écran. Judex, la dernière série vraiment populaire de Louis Feuillade, moins audacieuse et moins novatrice, comprendra 12 épisodes qui seront présentés en 1917.
2013 est donc l'année du centenaire pour Fantômas. Une célébration spectaculaire avec la restauration magistrale des cinq films de Feuillade. Hier soir, au Théâtre du Châtelet, Arte, la Gaumont, ZDF et le CNC présentaient le résultat de l'entreprise, en même temps que la musique composée par Yann Tiersen, jouée en direct par les musiciens (Yann Tiersen avec Tim Hecker, Amiina, James Blackshaw et Loney Dear). Une entreprise audacieuse : plus de six heures de film projetées avec deux entractes, et une belle performance aussi pour les musiciens.
Il serait abusif de dire qu'on assiste à une telle projection sans un brin de préparation. Certains spectateurs, venus là comme pour un concert de Yann Tiersen, l'ont appris à leurs dépens. Six heures de cinéma muet, même en musique, c'est un vrai voyage, une séance de sport pour l'imagination, qui demande d'une part une concentration indispensable et d'autre part une faculté d'adaptation et une vraie confiance envers le cinéma auquel on est venu rendre hommage. Si on a pu se mettre dans cet état-là, on passe alors une soirée pratiquement inoubliable... Les personnages de Allain et Souvestre, mis en scène par Feuillade, exercent une fascination indiscutable, et leurs maquillages, leurs expressions et leurs façons d'occuper l'espace ont vite fait de nous transformer en spectateurs du début du XX° siècle. Habitués que nous sommes aux effets spéciaux les plus sophistiqués, aux scènes de violence les plus abominables, nous voilà redevenus des spectateurs désarmés, accrochés aux ressorts dramatiques de ces films totalement noirs, où l'incroyable est vrai, confrontés à ce combat à mort entre Juve, le bien public, et Fantômas, le mal absolu. Autour de ces deux-là évoluent des personnages secondaires : Jérôme Fandor le journaliste intrépide, Lady Beltham, à la fois complice et victime, donnent aux aventures du duo principal le double souffle du film d'aventure et du mélodrame. Sans compter le plaisir indicible d'assister à des poursuites en voiture dans le Paris de 1913, de retrouver en images et en mots l'ambiance et les modes de vie d'une époque révolue.
Et bien sûr, on n'oubliera pas la performance de Yann Tiersen qui réussit le tour de force de donner à l'oeuvre le meilleur de lui-même, sans jamais que la musique prenne le pas sur l'image. Suivant les moments, les musiciens offrent des nappes sonores où seuls la tonalité et le volume changent. Pour d'autres passages, la mélodie est présente, obsédante, modulée, développée, enrichie, rythmée en fonction de la narration. Une belle expérience d'immersion totale !
Le spectacle a fait l'objet d'une captation et sera diffusé sur Arte en décembre prochain. Le DVD, quant à lui, sera disponible en janvier 2014.
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