C'est toujours un peu émouvant d'ouvrir un premier roman. On a le sentiment d'être poussé, d'emblée, dans l'intimité de l'auteur qu'on va découvrir, on se sent presque indiscret, et inquiet, aussi. Surtout s'il s'agit, comme ici, d'une histoire tragique qui aurait pu donner lieu à tous les excès violents ou mélodramatiques. Qu'on se rassure, Petite Louve est un très beau roman, et Marie Van Moere définitivement une auteure à suivre.
Les titres des chapitres sont des verbes à l'infinitif, qui annoncent, discrètement, l'action qui va nous être racontée. Le premier, "Enterrer", est d'une simplicité terrible : Agathe pioche, creuse, s'épuise. Elle enterre là, sous la terre sèche, celui qui a pris sa fille et qui l'a brisée. C'est juillet, il fait nuit et chaud sur les pistes des calanques. Il est temps de rejoindre la petite, 12 ans, qui l'attend à la maison. Il est temps de fuir vers la Corse, car celui que la mère a éliminé a une famille, et pas n'importe laquelle. Il faut se cacher, se faire oublier des frères du mort, Ivo et Ari, qui ne lui pardonneront pas ce qu'elle a fait.
Voilà, c'est le début d'une cavale en 4x4, en bateau, d'hôtel en hôtel, de ville en village, de village en maquis. Agathe est médecin, elle est originaire de la côte Atlantique mais s'est fait adopter par Marseille, par le Sud. Deux ans avant le début du roman, elle a découvert sa petite, 10 ans, "recroquevillée, mordue, rompue, tuméfiée". Violée, massacrée sur le chemin du retour de l'école. Anorexique depuis l'horreur, la petite est maintenant mince, tellement mince et fragile qu'on se demande comment elle tient debout. La mère fume trop, le père est parti, incapable de supporter la situation. La mère et la fille forment un couple blessé, malade, sauvage, complice. La mère a vengé la fille. Et après ?
Le miracle opère. Dès la fin du premier chapitre, on sait qu'on ne va plus quitter Agathe et sa Petite louve, Lupita. Pas tant à cause du suspense qu'à cause de ces deux personnages meurtris, mère et fille qu'on voit évoluer l'une près de l'autre, échangeant progressivement leurs rôles lorsque la petite devient plus forte que sa mère, voire plus raisonnable. Entraînées dans une boucle de violence à l'issue forcément fatale, Agathe et la Petite se retrouvent au beau milieu d'un maelström d'émotions, de pulsions de mort, de trahisons, de cruautés et de terrible solitude. Agathe, à la dérive. La Petite blessée mais vivante, qui retrouve au fil des pages sa force de vie, aidée par la rencontre des deux femmes avec un homme de la terre, de la montagne, du maquis, qui n'a pourtant rien du vieil ours corse, mais tout de l'homme providentiel. Celui par lequel le bien peut éventuellement survenir, malgré le sang, malgré la mort et l'absurdité des choses qui va atteindre son apothéose à la fin du roman. Marie Van Moere écrit sans affèterie, mais sait laisser libre cours à un lyrisme sensuel extrêmement séduisant lorsqu'elle parle de la nature, des sensations, des émotions. Elle sait aussi dire la violence avec rage et véhémence. L'histoire qu'elle nous raconte, cruelle, effrayante, tendre aussi, a la beauté contrastée de ses deux héroïnes, et nous laisse émus, la gorge presque nouée, sous le charme.
Marie Van Moere, Petite louve, La manufacture de livres
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