Un roman, une vie. Un début, une fin, et au milieu, une vie. Un homme, une femme. Une rencontre, une rupture. Terminus Mon-Ange est tout cela à la fois. L'homme qui voyage dans ce train est content que ce dernier soit désertique. Il l'est encore plus quand il s'installe dans son compartiment, où se trouve une jeune femme accompagnée d'un splendide sac de cuir. Sac de cuir qui fascine le narrateur et stimule son imagination : ce gros marron glacé lui fait même oublier ce qu'il appelle "mon ange", une arme qu'il garde bien cachée contre son corps, un Smith & Wesson modèle 19 à canon de 3 pouces :"Une douleur m'a traversé le corps comme un coup de foudre qui partait de l'aine. J'ai sursauté. Mon cœur s'est envolé comme une perdrix levée entre deux rangs de vigne.J'ai senti ses ailes battre à grands coups dans ma poitrine." Ce sac en dit beaucoup sur la femme qui le porte : elle ne l'a pas volé, c'est sûr. Jamais elle ne pense aux souffrances de celles qui ont travaillé dur pour obtenir la perfection. Ce sac, c'est elle tout entière, cette femme impeccable, coiffée, maquillée, élégamment vêtue.
Chaque détail va entraîner le narrateur, tour à tour, dans une sensation ("Sentir, juste, ça suffit pour connaître") ou dans une embardée de souvenirs. Et va du même coup nous apprendre, un peu, qui il est et pourquoi il chérit, au creux de sa ceinture, "Mon ange"... Fin, voire roublard, il va même nous mettre la puce à l'oreille : une femme si bien vêtue, si apprêtée, dotée d'un sac aussi parfait, ne devrait-elle pas voyager en 1e classe? Que fait-elle là, précisément, dans ce compartiment ? Et puis il y a cet ongle, à l'index, plus court que les autres.
Ce narrateur est un homme multiple : tantôt il s'échappe en poésie, porté par le souvenir. Tantôt il s'exprime sèchement, use d'un vocabulaire familier, a recours aux onomatopées pour exprimer ce son-là, précisément. Tantôt ses souvenirs sont solaires, cette femme aimée en robe fleurie, tantôt ils sont violents, cet accident de moto, ce fourgon de la Brink's. Et pendant ce temps, lui et elle se parlent, se touchent, s'approchent. Voilà, en 124 pages, Lilian Bathelot nous raconte un parcours, un destin, une vie. Et la finesse des sensations, l'état de lassitude dans lequel la peur n'a même plus sa place. En 124 pages, il provoque l'empathie, la nostalgie, la peur naissante, l'émotion poignante, le sentiment qu'on voudrait retenir le fil de cette vie qui se déroule, trop vite, entre le départ et l'arrivée d'un train. Un roman rare, de ceux dont il est difficile de parler tant on a peur de les abîmer, mais qu'on voudrait faire lire à tous ceux qu'on aime, et aussi à ceux qu'on ne connaît pas.
Lilian Bathelot, Terminus Mon-Ange, La manufacture de livres
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