Marc Fernandez, Cathi Unsworth, Antoine Chainas, Warren Ellis et Alfredo Noriega |
Le polar et la grande ville, indissociables ?
Cathi Unsworth : Non, le polar ne doit pas nécessairement se passer dans une grande ville. Mon dernier polar se situe dans une petite ville du Norfolk.
Cathi Unsworth |
Warren Ellis |
Antoine Chainas : Mon dernier roman parle de ces résidences sécurisées et fermées qu'on commence à trouver en grand nombre dans le Sud de la France. Je pense que la ville est un biotope comme un autre. Ce qui m'intéresse, c'est la ville qui devient une espèse de non-lieu : pas tout à fait la ville, pas tout à fait la campagne. Ce phénomène commence à se répandre, en particulier dans la région PACA. Cette mutation est très forte dans ce qu'on appelle l'arrière-pays. Elle produit de nouveaux codes sociaux, une nouvelle manière de vivre qui ne nous sont pas encore familiers. Il y a quelques années, si on avait dit à ces Français qu'ils allaient devenir de simples usagers d'infrastructures privatisées, ils n'y auraient pas cru. Et pourtant, c'est en train d'arriver. C'est éminemment politique, significatif du désengagement de l'état et de la privatisation des espaces publics.
Antoine Chainas et Warren Ellis |
CU : Mes trois romans se déroulent dans les mêmes quartiers de Londres, à des époques différentes. Un jour, ce terrible film, Coup de foudre à Notting Hill, est sorti. Et tout à coup, les banquiers se sont mis à dire : "Oh, comme c'est créatif, ce quartier", et à l'investir. une catastrophe.
AC : Et ces "villes protégées" commencent à être accessibles aux classes moyennes.
WE : Mais il faut bien dire que les Anglais ont beau avoir un nombre record de caméras de surveillance, ils sont absolument nuls dans ce domaine. Car en réalité, personne ne regarde jamais ces vidéos... Et une quantité impressionnante de caméras vidéos sont... vides.
AC : Oui, mais sans doute l'intérêt est-il de donner l'impression qu'on "peut" être surveillé. Tant qu'on y croit, ça marche plus ou moins.
WE : En fait, l'effet est très relatif et dure très peu.
AC : Oui, une étude a montré qu'il fallait un an avant que les gens s'aperçoivent que les caméras ne fonctionnaient pas.
Warren Ellis et Alfredo Noriega |
AN : A Quito, il y a un centre historique très important. Petit à petit, la bourgeoisie a migré vers le nord, et les ouvriers vers le sud. Maintenant, la ville s'est agrandie à l'est dans des lieux naturels magnifiques. Malgré cette protection naturelle, les gens ont construit des murs non seulement pour se protéger du regard des autres, mais surtout pour se protéger de la vue des pauvres ! C'est déroutant, mais très intéressant au niveau littéraire. Il y a des personnages tellement immondes, ou tellement beaux, que c'est un terreau formidable.
CU : A l'époque où se situent mes romans, les quartiers dont je parle, comme Camden, étaient de véritables "melting pots". C'étaient des lieux où les frontières sociales se diluaient. Aujourd'hui, je crois que les séparations de classe n'ont jamais été aussi fortes.
AN : Si je comprends bien, Londres est en train de devenir comme les villes d'Amérique latine! A Quito, Guayaquil ou Caracas, ces séparations sont historique, presque naturelles. Je suis né dans une ville de division de classes. Quand j'étais enfant, je ne côtoyais jamais les autres classes sociales, sauf par l'intermédiaire de l'employée de maison ! Sans parler des Indiens d'Amazonie. Nous étions dans une sorte d'apartheid. Ce n'est que depuis les années 90, avec les manifestations des Indiens, qu'on a assisté à la naissance d'une sorte de mixité sociale. Mais la ville est restée très "classifiée".
WE : Ce qui est impressionnant, c'est la peur qu'éprouvent les riches. J'ai un ami qui fréquente beaucoup d'Américains très riches. Autrefois, il y avait des personnes richissimes, les Rockefeller ou les Rothschild, qui se montraient. Aujourd'hui, me dit cet ami, ces gens-là s'en vont se cacher en Europe. Tout ce qu'ils dépensent, c'est pour se cacher... Et malgré les apparences, les nouveaux riches, qui le sont beaucoup plus que leurs prédécesseurs, ont le même comportement de peur. Pour eux, le monde ne compte pas... Certains veulent construire des villes flottantes pour leurs proches et leurs amis!
AN : A Quito, les quartiers fermés sont complètement autonomes : tout est là, il n'est plus utile de sortir. Il se crée de petites armées privées. Et il ne s'agit pas seulement des narco-trafiquants, mais d'industriels. Ce qui donne à nos villes une sensation d'insécurité qui en réalité n'existe pas vraiment. C'est une paranoïa qui s'installe.
AC : Ce sentiment d'insécurité est tellement puissant et tellement archaïque, il permet de telles manipulations...
WE : Oui, les gens sont tellement occupés à se protéger qu'ils ne voient plus le futur.
CU : Dans les époques où on a assisté à un rapprochement des gens, on a également assisté à une véritable frénésie créative. Quand ces choses se produisent, comme à la fin des années 50 ou à l'époque du punk,le pouvoir politique n'apprécie pas nécessairement.
WE : Je me demande si une telle chose - le punk par exemple - pourrait se reproduire aujourd'hui...
CU : Je pense qu'aujourd'hui, l'éducation des jeunes ne favorise pas ce genre d'épanouissement.
Cathi Unsworth et Warren Ellis |
Si vous étiez maire de votre ville, que feriez-vous :
WE : Je ferais des exécutions de masse. A quoi bon être maire si on ne peut pas faire d'exécutions !
CU : A commencer par Boris Johnson, le maire de Londres.
AN : En plus des exécutions, un peu plus de sexe ne ferait pas de mal !
WE : Oui, on pourrait faire ça en plus des exécutions. Sur les tas de cadavres !
Cathi Unsworth et Antoine Chainas |
Le dernier roman d'Antoine Chainas : Pur, Gallimard
Le dernier roman de Warren Ellis : Gun Machine, Le Masque
Le dernier roman d'Alfredo Noriega : Mourir, la belle affaire, Ombres noires
Wow, j'ai rate une conversation tres interessante!
RépondreSupprimerOui Marina, un peu "décousu" mais passionnant !
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