7 avril 2014

QUAIS DU POLAR 2014 - Episode 2 : Le polar et la ville (Cathi Unsworth, Antoine Chainas, Warren Ellis, Alfredo Noriega)

L'édition 2014 des Quais du polar est à peine achevée qu'il est temps de mettre un peu d'ordre dans les photos, les notes et les enregistrements. Indéniablement placé sous le signe de James Ellroy, le festival offrait néanmoins une telle variété de conférences, tables rondes et autres événements qu'à vrai dire, j'en ai encore le tournis... Beaucoup de visiteurs, beaucoup d'auteurs, beaucoup de lieux : c'est au pas de course et en jouant des coudes qu'il fallait aborder la chose si on voulait assister à une toute petite partie des événements organisés... Et il aurait fallu un chef de projet hautement qualifié pour organiser ces deux jours de façon à peu près satisfaisante ! Ou, mieux encore, le don d'ubiquité. Ne disposant ni de l'un, ni de l'autre, mes jambes s'y sont substituées comme elles ont pu. Quant à ma pauvre cervelle, elle n'a pas encore retrouvé son état normal ! Un peu de patience, ça viendra. Peut-être.

Marc Fernandez, Cathi Unsworth, Antoine Chainas, Warren Ellis et Alfredo Noriega
Démarrons avec la table ronde consacrée au polar, genre urbain. Animée par Marc Fernandez, elle réunissait Cathi Unsworth, Antoine Chainas, Warren Ellis et Alfredo Noriega. Extrait d'une conversation à bâtons rompus, dérapages contrôlés compris.

Le polar et la grande ville, indissociables  ?
Cathi Unsworth : Non, le polar ne doit pas nécessairement se passer dans une grande ville. Mon dernier polar se situe dans une petite ville du Norfolk.




Cathi Unsworth
Warren Ellis : Non. Craig Johnson situe ses polars dans des coins perdus du Wyoming. Aucune obligation. A propos du Norfolk, cela me fait penser à une histoire récente. En Angleterre, les flics utilisent une sorte de sténo spécifique. Quant ils tombent sur une personne  un peu bizarre, ils vont noter : NFN. Ce qui signie "Normal for Norfolk" !
Warren Ellis
Alfredo Noriega : Je suis d'accord. D'autant plus qu'en fait, Quito, où je vis, est plutôt une petite ville à côté de ces cités monstrueuses que sont Mexico ou Tijuana... Et pourtant...

Antoine Chainas : Mon dernier roman parle de ces résidences sécurisées et fermées qu'on commence à trouver en grand nombre dans le Sud de la France. Je pense que la ville est un biotope comme un autre. Ce qui m'intéresse, c'est la ville qui devient une espèse de non-lieu : pas tout à fait la ville, pas tout à fait la campagne. Ce phénomène commence à se répandre, en particulier dans la région PACA. Cette mutation est très forte dans ce qu'on appelle l'arrière-pays. Elle produit de nouveaux codes sociaux, une nouvelle manière de vivre qui ne nous sont pas encore familiers. Il y a quelques années, si on avait dit à ces Français qu'ils allaient devenir de simples usagers d'infrastructures privatisées, ils n'y auraient pas cru. Et pourtant, c'est en train d'arriver. C'est éminemment politique, significatif du désengagement de l'état et de la privatisation des espaces publics.
Antoine Chainas et Warren Ellis

CU : Mes trois romans se déroulent dans les mêmes quartiers de Londres, à des époques différentes. Un jour, ce terrible film, Coup de foudre à Notting Hill, est sorti. Et tout à coup, les banquiers se sont mis à dire : "Oh, comme c'est créatif, ce quartier", et à l'investir. une catastrophe.

AC : Et ces "villes protégées" commencent à être accessibles aux classes moyennes.

WE : Mais il faut bien dire que les Anglais ont beau avoir un nombre record de caméras de surveillance, ils sont absolument nuls dans ce domaine. Car en réalité, personne ne regarde jamais ces vidéos... Et une quantité impressionnante de caméras vidéos sont... vides.

AC : Oui, mais sans doute l'intérêt est-il de donner l'impression qu'on "peut" être surveillé. Tant qu'on y croit, ça marche plus ou moins.

WE : En fait, l'effet est très relatif et dure très peu.

AC : Oui, une étude a montré qu'il fallait un an avant que les gens s'aperçoivent que les caméras ne fonctionnaient pas.

Warren Ellis et Alfredo Noriega

AN : A Quito, il y a un centre historique très important. Petit à petit, la bourgeoisie a migré vers le nord, et les ouvriers vers le sud. Maintenant, la ville s'est agrandie à l'est dans des lieux naturels magnifiques. Malgré cette protection naturelle, les gens ont construit des murs non seulement pour se protéger du regard des autres, mais surtout pour se protéger de la vue des pauvres ! C'est déroutant, mais très intéressant au niveau littéraire. Il y a des personnages tellement immondes, ou tellement beaux, que c'est un terreau formidable.

CU : A l'époque où se situent mes romans, les quartiers dont je parle, comme Camden, étaient de véritables "melting pots". C'étaient des lieux où les frontières sociales se diluaient. Aujourd'hui, je crois que les séparations de classe n'ont jamais été aussi fortes.

AN : Si je comprends bien, Londres est en train de devenir comme les villes d'Amérique latine! A Quito, Guayaquil ou Caracas, ces séparations sont historique, presque naturelles. Je suis né dans une ville de division de classes. Quand j'étais enfant, je ne côtoyais jamais les autres classes sociales, sauf par l'intermédiaire de l'employée de maison ! Sans parler des Indiens d'Amazonie. Nous étions dans une sorte d'apartheid. Ce n'est que depuis les années 90, avec les manifestations des Indiens, qu'on a assisté à la naissance d'une sorte de mixité sociale. Mais la ville est restée très "classifiée".

WE : Ce qui est impressionnant, c'est la peur qu'éprouvent les riches. J'ai un ami qui fréquente beaucoup d'Américains très riches. Autrefois, il y avait des personnes richissimes, les Rockefeller ou les Rothschild, qui se montraient. Aujourd'hui, me dit cet ami, ces gens-là s'en vont se cacher en Europe. Tout ce qu'ils dépensent, c'est pour se cacher... Et malgré les apparences, les nouveaux riches, qui le sont beaucoup plus que leurs prédécesseurs, ont le même comportement de peur. Pour eux, le monde ne compte pas... Certains veulent construire des villes flottantes pour leurs proches et leurs amis!

AN : A Quito, les quartiers fermés sont complètement autonomes : tout est là, il n'est plus utile de sortir. Il se crée de petites armées privées. Et il ne s'agit pas seulement des narco-trafiquants, mais d'industriels. Ce qui donne à nos villes une sensation d'insécurité qui en réalité n'existe pas vraiment. C'est une paranoïa qui s'installe.

AC : Ce sentiment d'insécurité est tellement puissant et tellement archaïque, il permet de telles manipulations...

WE : Oui, les gens sont tellement occupés à se protéger qu'ils ne voient plus le futur.

CU : Dans les époques où on a assisté à un rapprochement des gens, on a également assisté à une véritable frénésie créative. Quand ces choses se produisent, comme à la fin des années 50 ou à l'époque du punk,le pouvoir politique n'apprécie pas nécessairement.

WE : Je me demande si une telle chose - le punk par exemple - pourrait se reproduire aujourd'hui...

CU : Je pense qu'aujourd'hui, l'éducation des jeunes ne favorise pas ce genre d'épanouissement.


 
Cathi Unsworth et Warren Ellis

Si vous étiez maire de votre ville, que feriez-vous :
WE : Je ferais des exécutions de masse. A quoi bon être maire si on ne peut pas faire d'exécutions !
CU : A commencer par Boris Johnson, le maire de Londres.
AN : En plus des exécutions, un peu plus de sexe ne ferait pas de mal !
WE : Oui, on pourrait faire ça en plus des exécutions. Sur les tas de cadavres !

Cathi Unsworth et Antoine Chainas
 Le dernier roman de Cathi Unsworth : Zarbi, Rivages
Le dernier roman d'Antoine Chainas : Pur, Gallimard
Le dernier roman de Warren Ellis : Gun Machine, Le Masque
Le dernier roman d'Alfredo Noriega : Mourir, la belle affaire, Ombres noires

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