8 mai 2016

Benoît Séverac,"Le chien arabe" : généreux, lucide et inquiétant

Quand un roman noir s'inspire d'une actualité aussi difficile que le terrorisme, on a toujours un peu peur de la réaction à chaud, voire d'une forme d'opportunisme plus ou moins conscient. C'est donc avec certains préjugés, inévitablement,  qu'on aborde le type de roman auquel s'apparente Le chien arabe de Benoît Séverac. On comprend assez vite qu'on peut faire confiance à l'auteur. L'histoire se déroule à Toulouse,dans le quartier des Izards. Le quartier de Mohamed Merah, certes, mais aussi la ville d'AZF. C'est dire qu'il y est question d'une zone malmenée, en souffrance, en proie à la fois aux trafics de stupéfiants, au grand et au petit banditisme, et, pour les filles et les femmes, à une oppression de tous les instants.
Ce n'est pas un hasard si, dans le "casting" du Chien arabe, les femmes se taillent la part du lion. Sergine, vétérinaire à la clinique des Izards, 1m85, une carrure impressionnante, une solitude qui l'est encore plus, d'autant qu'elle vient de vivre une rupture difficile avec un ex qui n'était pas ce qu'il semblait.  La flic de service, Decrest, en butte au machisme ambiant, que ce soit dans son milieu professionnel ou face à la population. Et puis Samia, la jeune Samia, le coeur de cette histoire. C'est elle qu'on retrouve au début du roman, dans ces quartiers nord de Toulouse plombés par la chaleur, près de son frère Noureddine, 23 ans, bénéficiaire du RSA mais propriétaire d'une BMW flambant neuve, chômeur mais trafiquant prospère. Et puis Mustapha, le petit frère de 12 ans, déjà "chouffeur".

Sergine est de garde à la clinique, quand, en pleine nuit, Samia frappe à la porte. Elle a besoin d'aide, pour un chien mourant. Le problème, c'est que ce chien est enfermé dans une cave d'un immeuble de la cité, et qu'il va falloir aller l'y chercher. Ces caves sont le territoire réservé de Noureddine et de sa bande : c'est lui qui a frappé le chien à coups de pied, le laissant sur le carreau. Samia, témoin de la scène, ne peut pas ne rien faire. Et la voilà, à la porte de la clinique vétérinaire, à appeler Sergine, à la supplier de l'aider.  Dans quel guêpier la vétérinaire va-t-elle foncer tête baissée ? Que va-t-elle faire une fois qu'elle aura découvert que la bête sert de "passeur", que son estomac est bourré de capsules de drogue, et qu'il n'y a plus grand-chose à faire pour elle ? Et surtout, comment va-t-elle venir au secours de Samia, une fois qu'elle aura appris que sa famille prévoit de la renvoyer au bled pour la marier de force ? Voilà, Sergine a fort à faire, et elle a beau avoir une carrure de rugbyman, elle n'est pas précisément équipée pour affronter ce qui l'attend...

Benoît Séverac nous raconte cette histoire dans un style sobre, efficace, on pourrait presque dire journalistique si la presse savait encore faire preuve de distance, d'empathie, de lucidité face aux réalités complexes de la vie des cités. Entre pègre et terrorisme, ghettos et police, zone et désert culturel, il décrit  la vie chaotique, l'irruption de la religion, les clivages, l'enfermement, la perte de contrôle, l'incompréhension. Une incompréhension qui aboutit au pire, à l'explosion de violence jaillie de l'impossibilité de se faire entendre et reconnaître, voire de se comprendre soi-même dans un monde où la sensation de destin inéluctable se fait de plus en plus présente... Sans trop de manichéisme, l'auteur navigue entre les écueils d'une histoire qui en recèle plus d'un, et parvient à les éviter presque tous. Un beau roman généreux, lucide et inquiétant...

Benoît Séverac, Le chien arabe, La manufacture de livres

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