26 juin 2016

Anne Bourrel, L'invention de la neige : le drame et l'absence

Anne Bourrel, vous vous rappelez, l'année dernière, le choc de Gran Madam's (qui vient d'ailleurs de sortir en poche chez Pocket)? Si vous ne vous en souvenez pas, vous pouvez toujours aller voir là. Anne Bourrel revient, avec un roman un peu plus touffu cette fois, un titre aussi poétique qu'énigmatique, une couverture au design aussi intrigant que fascinant. L'invention de la neige commence avec un enterrement, celui d'Antoine, grand-père de Laure et père de la narratrice. Cette dernière va nous raconter l'histoire de sa fille, et c'est déjà étrange : elle n'est pas sur les lieux, et pourtant elle sait tout de ce qui se passe pendant ces quelques jours durant lesquels on va l'attendre, cette fameuse neige...
Laure est inconsolable. Antoine, son Gp, comme elle dit, vient de mourir. Antoine, l'Espagnol, l'ex-combattant de la guerre d'Espagne, l'homme qui lui a donné tout l'amour du monde, l'a quittée à jamais. Laure et Ferrans, son riche mari, ne resteront pas avec la famille, à Bram, ce soir-là. Ils rentreront chez eux dans le rutilant Cayenne de Ferrans.

Le lendemain, c'est la Saint-Valentin. Le couple et les deux filles de Ferrans partent pour trois jours à la neige, dans les Cévennes. Mais la neige n'est pas au rendez-vous. Et rien n'est plus triste qu'un séjour à la neige sans neige, sinon un village de montagne sans neige. Marron, humide, froid, hostile. Glacial. Laure se tait. Quand elle ne se tait pas, elle pleure, elle sanglote, ou bien elle somnole. Ferrans ne sait plus à quel saint se vouer. Il faut bien promener les filles, essayer de les occuper, les sortir de l'hôtel sinistre. L'auberge du Bonheur, ô ironie de nos choix, chanterait Stephan Eicher. A l'auberge du Bonheur, il y a une aubergiste. Une façade sale, des volets écaillés. Et aussi Roxy le gros lézard jaune, un pogona vitticeps ou agame barbu plus exactement, qui terrorise Laure.  A l'auberge du Bonheur, il y a des habitués. Jean-Paul,  moniteur de ski au chômage dont le regard rappelle à Laure Antoine, son Gp. Le médecin-joggeur du village, auquel Ferrans, en désespoir de cause, finira par faire appel pour soulager Laure, Laure et sa douleur insondable, Laure qui n'a pas dormi depuis 6 nuits. 

Combien de personnages faut-il pour nouer un drame ? Assurément, Anne Bourrel le sait, elle qui, avec L'invention de la neige, se joue des règles du suspense pour nous concocter un roman parfaitement noir, déconcertant, troublant, où, petit à petit, au fil des pages, elle dévoile l'histoire de ses personnages. Celle d'Antoine et de son ami Gabriel, son ami de cœur le combattant perdu. Celle de la mère de Laure et de son mari, forains à l'instinct parental très discret, qui confieront la petite fille aux bons soins de ses grands-parents. Celle de Laure, la grande Laure, celle qui dévore les livres, celle qui, à quarante ans passés, n'a toujours pas d'enfant. 

Comment ces histoires-là se nouent-elles entre elles, telles des serpents agglutinés, pour donner naissance au drame, brutal, qui frappe le lecteur en plein cœur à la fin du roman ? Comment Anne Bourrel réussit-elle, de main de maître, à nous entraîner dans le tourbillon discret mais terrifiant de cette histoire bouleversante ? Par son amour des mots, sa passion pour la littérature, qu'on ressent là peut-être encore davantage que dans Gran Madam's, et surtout, surtout, grâce à un talent rare, celui d'une auteure pour laquelle le style est au service d'une histoire exceptionnelle, et d'une vision du monde d'une rare sensibilité. Bravo Madame !

Anne Bourrel, L'invention de la neige, La manufacture de livres


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