3 juillet 2016

Valerio Varesi, "Le fleuve des brumes" : e la nave va...

Vous l'avez compris rien qu'au nom de l'auteur, nous sommes en Italie, et le fleuve des brumes, c'est le Pô. Loin de Rome, de Naples ou de la Sicile qui accueillent les polars italiens les plus populaires, nous sommes là dans le nord du pays, à l'écart des flux touristiques. Nous sommes en hiver, il fait froid, et il pleut. Sans relâche. Là, pas très loin de Mantoue, coule le Pô, que la pluie incessante menace de faire déborder. Dans une petite ville qui borde le fleuve, au cercle nautique, on discute ferme, on commence à s'inquiéter un peu. C'est qu'on a beau avoir l'habitude des crues, l'évacuation forcée n'est pas une partie de plaisir. Et pourtant, il va bien falloir y penser car l'eau monte, inexorablement. Et là bas, sur le fleuve, la péniche de Tonna, avec sa lumière allumée. Que fabrique-t-il, le vieux Tonna, 80 ans passés, sur sa péniche par un temps pareil? La lumière s'éteint, se rallume. Les feux de signalisation sont éteints. L'énorme péniche flotte, tangue puis sort du port tant bien que mal. C'est étrange et les braves gens qui discutent au cercle nautique, Vernizzi, Torelli et l'hôtesse du lieu, Gianna, se perdent en conjectures : un tel comportement ne ressemble pas à Tonna. 
Un peu plus tard, en ville,  le commissaire Soneri est appelé à l'hôpital pour constater le décès d'un patient, passé par la fenêtre du troisième étage. Le vieil homme ne s'est pas raté, si tant est qu'il ait sauté lui-même... L'homme avait 76 ans, et s'appelait Decimo Tonna. Le frère du marinier en perdition... Troublante coïncidence, d'autant que l'on vient de retrouver la péniche échouée à la fin d'un périple erratique, et déserte. Double disparition donc, de deux frères connus pour leurs accointances fascistes dans l'Italie des années 40. 

De quoi donner du grain à moudre au commissaire Soneri,  policier fouineur et opiniâtre, héros récurrent d'une série signée Valerio Varesi qui compte déjà onze romans, dont Le fleuve des brumes est, de façon incompréhensible, le premier à être traduit en français grâce aux toutes jeunes éditions Agullo, qui s'assurent ainsi une entrée réussie auprès des amateurs de romans noirs et de polars. Le rythme de l'enquête est lent, aussi lent que celui du fleuve, car l'auteur prend le temps de nous emmener avec lui au cœur d'une géographie très particulière, celle qui obéit aux méandres du Pô, et à la poursuite d'une histoire politique trouble qui n'a pas encore livré tous ses secrets.

Le commissaire Soneri, instinctif et têtu, est une belle création littéraire, un personnage qui aime la vie et tous ses plaisirs : du coup, il nous fait découvrir la cuisine et les vins de la région, et c'est un vrai bonheur que de déguster avec lui les vins pétillants et entêtants, les pâtes aux haricots et le jambon blanc. Une fois qu'on aura révélé que la sonnerie de son téléphone est un extrait de l'Aida de Verdi, on comprendra que l'homme est aussi un amateur d'art lyrique, de ceux qui savent que l'opéra, loin d'être un art d'élite, était avant tout un spectacle populaire. Varesi refuse d'effleurer les choses, et surtout de se contenter d'allusions "exotiques" et de concessions touristiques à la culture de son pays. Il creuse, il révèle, et surtout il donne envie. Ses autres personnages, s'ils sont secondaires, n'en sont pas moins travaillés, pas forcément sympathiques, mais suffisamment intéressants pour jouer à merveille le rôle que l'auteur leur a dévolu.  On n'oubliera surtout pas d'évoquer la relation tumultueuse du commissaire avec la belle Angela, fantasque et exigeante, ennemie de la routine et de l'ennui, et qui donne une dernière note sensuelle à un personnage vraiment réussi. Ainsi, Le fleuve des brumes est aussi prenant pour son intrigue que pour ce qu'il nous dit de l'Italie du nord, de ses fantômes et de ses paysages. Que demander de plus ?

Valerio Varesi, Le fleuve des brumes, traduit de l'italien par Sarah Amrani, Agullo éditions

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