Jérôme Leroy était la semaine dernière à la librairie Millepages de Vincennes, où les trois libraires, Jérôme Dejean, Julien Morel et Pascal Thuot, l'ont successivement interrogé sur les multiples facettes de son activité d'auteur de romans, de poète et d'éditeur. Ils ont, en particulier, évoqué son dernier roman paru à la Table ronde, Un peu tard dans la saison. Morceaux choisis.
La fin du monde
"C'est un thème qui me hante, c'est vrai, mais c'est aussi un thème de génération, et qui a été très présent dans les littératures de genre. Aujourd'hui, il a envahi la littérature générale. Nous avons intégré le fait que le monde peut finir. Quand on parle avec des adolescents, on s'aperçoit que pour eux, cela fait partie des possibles... Ma vision a évolué : elle a été très violente, alors que dans Un peu tard dans la saison, c'est une fin en douceur. Peut-être la maturité... J'ai donc inventé ce monde de la douceur, un peu en référence aussi à Gébé et à L'An 01 : on fait un pas de côté...
Dans Un peu tard dans la saison, l'éclipse dont il est question ne se situe pas dans le futur, mais maintenant, tout de suite. Parce que le monde est devenu insupportable. Réinventer un monde plus heureux et plus apaisé. Je pense profondément qu'on peut aller vers quelque chose de plus doux."
La fin du monde
"C'est un thème qui me hante, c'est vrai, mais c'est aussi un thème de génération, et qui a été très présent dans les littératures de genre. Aujourd'hui, il a envahi la littérature générale. Nous avons intégré le fait que le monde peut finir. Quand on parle avec des adolescents, on s'aperçoit que pour eux, cela fait partie des possibles... Ma vision a évolué : elle a été très violente, alors que dans Un peu tard dans la saison, c'est une fin en douceur. Peut-être la maturité... J'ai donc inventé ce monde de la douceur, un peu en référence aussi à Gébé et à L'An 01 : on fait un pas de côté...
Dans Un peu tard dans la saison, l'éclipse dont il est question ne se situe pas dans le futur, mais maintenant, tout de suite. Parce que le monde est devenu insupportable. Réinventer un monde plus heureux et plus apaisé. Je pense profondément qu'on peut aller vers quelque chose de plus doux."
Jérôme Leroy et Pascal Thuot |
L'amour, le bon vin et la littérature: la Sainte Trinité ?
"Si mes personnages aiment parler de littérature, ce n'est pas pour étaler une culture. Pour moi, être écrivain, c'est aussi avoir des dettes. J'ai envie de rendre hommage à ceux à qui je dois beaucoup à travers les romans, de façon implicite ou explicite. Par exemple, le personnage de Guillaume Trimbert dans Un peu tard dans la saison vient d'un auteur qui vient d'être réédité à la Table Ronde, Frédéric Berthet, qui m'a profondément habité par son élégance morale et littéraire. J'ai toujours envie de lui rendre hommage. A force de parler à des gens qui aiment Jean-Claude Pirotte, j'ai l'impression que nous sommes nombreux à l'aimer. Le problème, c'est que ce n'est pas le cas. Je ne vois pas mieux que la littérature pour parler de la littérature. Cela fait partie de la réalité dont on peut parler, comme l'amour et le bon vin."
Jean-Claude Izzo
"Je l'ai croisé, mais très peu puisqu'il est mort trop tôt. C'est quelqu'un qui m'a confirmé dans l'idée que le roman noir était un moyen de connaître le monde. Il faut se rappeler qu'à l'époque, ses romans sortaient en Série noire, en poche. Et c'était de la littérature. Il y a un signe qui ne trompe pas, pour dire si un roman noir est de la littérature. Est-ce qu'on le relit ou pas ? Je suis sûr qu'on a envie de relire Fajardie, Izzo, Siniac ou Manchette."
"Si mes personnages aiment parler de littérature, ce n'est pas pour étaler une culture. Pour moi, être écrivain, c'est aussi avoir des dettes. J'ai envie de rendre hommage à ceux à qui je dois beaucoup à travers les romans, de façon implicite ou explicite. Par exemple, le personnage de Guillaume Trimbert dans Un peu tard dans la saison vient d'un auteur qui vient d'être réédité à la Table Ronde, Frédéric Berthet, qui m'a profondément habité par son élégance morale et littéraire. J'ai toujours envie de lui rendre hommage. A force de parler à des gens qui aiment Jean-Claude Pirotte, j'ai l'impression que nous sommes nombreux à l'aimer. Le problème, c'est que ce n'est pas le cas. Je ne vois pas mieux que la littérature pour parler de la littérature. Cela fait partie de la réalité dont on peut parler, comme l'amour et le bon vin."
Jean-Claude Izzo
"Je l'ai croisé, mais très peu puisqu'il est mort trop tôt. C'est quelqu'un qui m'a confirmé dans l'idée que le roman noir était un moyen de connaître le monde. Il faut se rappeler qu'à l'époque, ses romans sortaient en Série noire, en poche. Et c'était de la littérature. Il y a un signe qui ne trompe pas, pour dire si un roman noir est de la littérature. Est-ce qu'on le relit ou pas ? Je suis sûr qu'on a envie de relire Fajardie, Izzo, Siniac ou Manchette."
Jérôme Leroy et Julien Morel |
Poésie et roman noir : une parenté
"Il faudrait déconstruire les représentations qu'on peut avoir de la poésie... Quelque chose d'expérimental, conceptuel, trois mots par page blanche. A côté de ça, il existe une poésie très vivante, avec des gens dedans. Ce qui fait la poésie, c'est une forme de regard. D'où la parenté entre le roman noir et la poésie. Il y a quelques mois, j'ai été invité par l'association Fondu au noir et la Maison de la poésie de Nantes, avec un poète de Lyon, Frédérick Houdaer, à faire une performance sur poésie et roman noir. Ce fut l'occasion de rappeler que de nombreux auteurs de romans noirs avaient aussi été des poètes : Malet, Izzo... Nous avions fait une sorte de diagnostic littéraire avec le public, en lisant des extraits à l'aveugle et en posant la question : "poésie ou roman noir?". Pour certains textes, comme ceux de David Peace ou James Ellroy, la réponse n'était pas évidente. A l'inverse, en lisant des extraits des Petits poèmes en prose de Baudelaire, notamment le texte sur l'homme qui voulait tuer le temps, cela devenait du roman noir. Il faut se retirer de la tête l'idée d'une poésie expérimentale, réservée à des initiés. Il existe des poèmes qu'on peut lire au quotidien. D'ailleurs il existe des pays, comme la Grèce ou la Russie, où la poésie est encore une pratique courante.
"Il faudrait déconstruire les représentations qu'on peut avoir de la poésie... Quelque chose d'expérimental, conceptuel, trois mots par page blanche. A côté de ça, il existe une poésie très vivante, avec des gens dedans. Ce qui fait la poésie, c'est une forme de regard. D'où la parenté entre le roman noir et la poésie. Il y a quelques mois, j'ai été invité par l'association Fondu au noir et la Maison de la poésie de Nantes, avec un poète de Lyon, Frédérick Houdaer, à faire une performance sur poésie et roman noir. Ce fut l'occasion de rappeler que de nombreux auteurs de romans noirs avaient aussi été des poètes : Malet, Izzo... Nous avions fait une sorte de diagnostic littéraire avec le public, en lisant des extraits à l'aveugle et en posant la question : "poésie ou roman noir?". Pour certains textes, comme ceux de David Peace ou James Ellroy, la réponse n'était pas évidente. A l'inverse, en lisant des extraits des Petits poèmes en prose de Baudelaire, notamment le texte sur l'homme qui voulait tuer le temps, cela devenait du roman noir. Il faut se retirer de la tête l'idée d'une poésie expérimentale, réservée à des initiés. Il existe des poèmes qu'on peut lire au quotidien. D'ailleurs il existe des pays, comme la Grèce ou la Russie, où la poésie est encore une pratique courante.
Jérôme Leroy et Jérôme Dejean |
Polar et roman noir
"Dans Un peu tard dans la saison, j'ai essayé la fusion entre la littérature d'anticipation, la littérature politique et le roman noir. Pour moi, L'ange gardien est plus un roman d'amour qu'un thriller politique : c'est un roman de sublimation. Là, j'ai beaucoup joué avec des archétypes du roman noir pour leur donner d'autres interprétations. Dans Le bloc, j'ai pris la décision de faire parler les personnages à la première personne. J'ai voulu une absence de surplomb. Dans le roman noir, quand les auteurs parlent d'extrême-droite, ils ont une propension à se distancier pour bien montrer qu'ils sont dans la bien-pensance. J'ai voulu faire parler les personnages, dans l'absence de jugement, et cela m'a permis de montrer que, hélas, ces gens-là peuvent être amoureux, être comme tout le monde. Cette banalisation, il fallait en parler comme ça. Le roman raconte trente ans d'histoire de ce bloc patriotique, mais il est construit comme une tragédie classique : il se passe en une nuit, dans un appartement et dans une chambre d'hôtel. Le roman noir, contrairement au roman policier, est la forme moderne de la tragédie. Le roman policier prend comme postulat que le monde est en ordre, que survient un désordre et qu'une fois l'affaire résolue, on assiste au retour à l'ordre. Ce serait un roman réactionnaire ! Alors que dans le roman noir, ça va mal, avec des gens qui ne savent pas où ils en sont, et à la fin ça ne va pas tellement mieux !
"La petite vermillon"
On n'associe pas forcément La Table ronde au roman noir d'emblée... Or c'est actuellement l'éditeur de Frédéric Fajardie. C'est Alice Déon qui m'a suggéré d'éditer des textes que j'aimais dans la collection "La petite vermillon". Le choix a été simple : mon goût, et puis le critère dont nous parlions plus haut, à savoir des textes qu'on a envie de relire. Pour le lancement, nous avons donc sorti quatre titres, deux d'auteurs morts, deux d'auteurs vivants.
"Dans Un peu tard dans la saison, j'ai essayé la fusion entre la littérature d'anticipation, la littérature politique et le roman noir. Pour moi, L'ange gardien est plus un roman d'amour qu'un thriller politique : c'est un roman de sublimation. Là, j'ai beaucoup joué avec des archétypes du roman noir pour leur donner d'autres interprétations. Dans Le bloc, j'ai pris la décision de faire parler les personnages à la première personne. J'ai voulu une absence de surplomb. Dans le roman noir, quand les auteurs parlent d'extrême-droite, ils ont une propension à se distancier pour bien montrer qu'ils sont dans la bien-pensance. J'ai voulu faire parler les personnages, dans l'absence de jugement, et cela m'a permis de montrer que, hélas, ces gens-là peuvent être amoureux, être comme tout le monde. Cette banalisation, il fallait en parler comme ça. Le roman raconte trente ans d'histoire de ce bloc patriotique, mais il est construit comme une tragédie classique : il se passe en une nuit, dans un appartement et dans une chambre d'hôtel. Le roman noir, contrairement au roman policier, est la forme moderne de la tragédie. Le roman policier prend comme postulat que le monde est en ordre, que survient un désordre et qu'une fois l'affaire résolue, on assiste au retour à l'ordre. Ce serait un roman réactionnaire ! Alors que dans le roman noir, ça va mal, avec des gens qui ne savent pas où ils en sont, et à la fin ça ne va pas tellement mieux !
"La petite vermillon"
On n'associe pas forcément La Table ronde au roman noir d'emblée... Or c'est actuellement l'éditeur de Frédéric Fajardie. C'est Alice Déon qui m'a suggéré d'éditer des textes que j'aimais dans la collection "La petite vermillon". Le choix a été simple : mon goût, et puis le critère dont nous parlions plus haut, à savoir des textes qu'on a envie de relire. Pour le lancement, nous avons donc sorti quatre titres, deux d'auteurs morts, deux d'auteurs vivants.
ADG, c'est à peine un roman noir. C'est un texte extrêmement drôle, Ulysse à l'envers, qui veut quitter Pénélope et qui n'y arrive pas. Ça se passe à la fin des années Giscard... Le personnage est une sorte de cadre sup qui s'emmerde, il tombe amoureux d'une fille et il décide de la suivre dans les Cévennes. Mais il doit repasser chez lui prendre quelques affaires avant de partir. Problème : sa femme dort. Et il casse ses lunettes, alors qu'il est extrêmement myope. On tombe alors dans une sorte de dérive parisienne, avec un personnage qui n'y voit plus rien...
Ensuite, Kââ, dont le vrai nom est Pascal Marignac, scandaleusement oublié. J'espère pouvoir en rééditer d'autres : si vous aimez Manchette et Jean Echenoz, c'est la même écriture froide et distanciée. Il joue avec tous les codes, son héros boit du Bourgogne en lisant l'Histoire de la philosophie médiévale, ce qui me plaît beaucoup. Le titre, La princesse de Crève, en dit déjà beaucoup.
Passons aux auteurs vivants avec Serge Quadruppani. Le sourire contenu est un très beau roman-voyage sur les prémisses de la mondialisation, avec les enjeux géopolitiques. Je voulais absolument cet auteur dans cette première "rafale".
Le dernier est signé Hervé Prudon, un très grand écrivain. La langue chienne avait paru pour la première fois en Série noire, en grand format, et n'avait visiblement pas trouvé son public. C'est un roman basé sur un fait divers sordide survenu dans le Nord, raconté par le mari, un type cultivé totalement conscient de la descente aux enfers qu'il est en train de vivre, et qui raconte dans une langue absolument superbe. C'est un roman magnifique, probablement victime de son côté "trans-genre". Je conseille d'ailleurs de lire tout Prudon.
Jérôme Leroy, Un peu tard dans la saison, La table ronde (voir chronique ici)
Jérôme Leroy, Le bloc, Série noire Gallimard (voir chronique ici)
Jérôme Leroy, L'Ange gardien, Série noire Gallimard (voir interview ici)
Hervé Prudon, La langue chienne, La petite vermillon n° 428, La table ronde
A.D.G., La nuit myope, La petite vermillon n° 427, La table ronde
Kââ, La princesse de Crève, La petite vermillon n° 426, La table ronde
Serge Quadruppani, Le sourire contenu, La petite vermillon n° 429, La table ronde
http://www.millepages.fr/
Hervé Prudon, La langue chienne, La petite vermillon n° 428, La table ronde
A.D.G., La nuit myope, La petite vermillon n° 427, La table ronde
Kââ, La princesse de Crève, La petite vermillon n° 426, La table ronde
Serge Quadruppani, Le sourire contenu, La petite vermillon n° 429, La table ronde
http://www.millepages.fr/
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