28 juin 2017

Luc Chomarat, "Le polar de l'été": ne le cherchez plus...

Luc Chomarat publie son premier roman à 22 ans, fait carrière dans la publicité, revient à la littérature en 2014, et remporte le Grand prix de littérature policière en 2016 avec Un trou dans la toile (Rivages). Virtuose du pastiche et du paradoxe, il ne faillit pas à sa réputation avec Le polar de l'été, un roman qui se savoure mais qui défie quelque peu la chronique, puisqu'il échappe résolument à toutes les classifications et défie joyeusement les approches classiques. On ne va pas mentir : ce genre de roman est salutaire pour le lecteur gourmand, en ce qu'il nous met face à nos vieilles habitudes, à nos facilités et à une certaine paresse.

Allons-y. Dès le début, nous voilà confronté à un problème tout bête : le héros de l'histoire n'a pas de nom. Ce qui somme toute est à peu près normal, puisque le roman est écrit à la première personne. Inutile d'attendre du secours des autres personnages : aucun d'entre eux n'aura la bonne idée d'appeler le héros par son prénom. Nous nous contenterons donc de cette appellation qui convient aussi mal que possible au personnage : le héros. 


Cet homme-là est en vacances, en compagnie de sa compagne, Daphnée,  de Zara, la jolie étudiante qui s'occupe de la marmaille et qui envisage de devenir écrivain, de Marie, amie d'enfance de Daphnée, et de Stéphane, le compagnon de Marie. Sans compter une ribambelle d'enfants dont deux lui appartiennent : le petit Tommy qu'il a eu avec Daphnée et Enzo, né d'une précédente union avec Nadia. Tout ce joli monde profite de l'Atlantique, de la plage et du soleil. L'une lit Douglas Kennedy, Michael Connelly ou Joe Nesbo, l'autre Annie Ernaux.  Stéphane, lui, est fan de science-fiction "hard". Et notre héros alors, que lit-il donc? Notre héros est passé de l'autre côté de la barrière. Il est romancier, auteur d'un polar qui a plutôt bien marché. Mais l'inspiration lui fait défaut. Et comme toujours dans ces cas-là,  on a vite fait de trouver un dérivatif à l'impuissance. Ce dérivatif-là, pour notre héros, va tourner à l'obsession. Pour peu que l'obsession ramène le personnage à son enfance, et nous voilà entraînés dans une drôle d'histoire.

Notre héros se prend donc d'une passion tout à fait déraisonnable pour un roman présent autrefois dans la bibliothèque de son père, entre un Peter Cheyney et un James Hadley Chase. Un roman dont l'illustration de couverture le fascinait, avec son image de vacances idéales, les petites maisons blanches, la mer, le soleil, le bateau, la plage : une image qui tranchait résolument avec les couvertures souvent peu subtiles des autres lectures paternelles... Le titre de ce roman : Pas de vacances pour les durs. Son auteur : Paul Terreneuve. Comme toute obsession, celle-là s'élabore : ce livre va passer du statut de souvenir émouvant à celui de Graal créatif. Le héros se met en tête de reprendre l'histoire de Paul Terreneuve - qu'il ne se rappelle pas très bien, à vrai dire... - et d'en faire le polar de l'été, celui qui lui rapportera beaucoup de lecteurs et surtout de lectrices, la célébrité, la richesse, etc. Mais pour cela, il faut retrouver le livre. La dernière fois qu'il l'a vu, c'était dans la bibliothèque familiale, dans la maison de Grinchelieu, près de Saint-Etienne, où sa mère vit encore. Ce serait plus rapide de le retrouver d'occasion : hélas, pas moyen. Ce livre est introuvable. Ce qui ne fait que le renforcer dans son statut de livre culte personnel du héros... 

Les vacances se déroulent, jour après jour, dans une sorte de flottement. Notre homme est là, certes, mais pas vraiment. Il se sent seul et compte sur l'arrivée de Stéphane, le compagnon de Marie, pour rompre avec ce drôle de malaise. "Et il y a parfois tellement d'enfants dans cette maison que je ne sais plus trop à qui ils appartiennent. Je suis tenté de leur donner des numéros pour que ce soit plus simple." Il n'est pas bien,  le héros, et à vrai dire il ne sait pas trop ce qu'il lui faudrait pour l'être... Ecrire "le polar de l'été", peut-être ?

Coup du sort, voilà que la mère du héros fait une mauvaise chute. Après moultes tergiversations - finalement, il finit par se trouver bien là où il est, tellement l'idée de devoir partir à Grinchelieu pour s'occuper de sa mère lui fait horreur - notre homme se décide à partir pour la maison familiale. Après tout, c'est bien là-bas que se cache le Graal, ce roman de Paul Terreneuve qui va lui sauver la mise, c'est sûr.  Commence alors la quête du trésor. Ponctuée d'autant d'épreuves que la vraie quête du Graal, cette aventure-là va singulièrement manquer de héros chevaleresques. Mais pas de personnages singuliers qui seront autant de jalons et d'indices pour que le lecteur en sache un peu plus sur la vie d'un homme fuyant, insatisfait, un personnage en quête d'histoire en quelque sorte. Parmi ces rencontres, une préférence particulière pour le vieux traducteur, celui qui a travaillé sur les plus grands textes des plus grands auteurs de polars, avec qui notre héros passe un moment, sans pour autant être capable de la moindre empathie pour son compagnon d'un soir.

Voilà un roman qui passe son temps à opérer des tours de passe-passe et à se faire passer pour ce qu'il n'est pas. En commençant par son titre. Une histoire qui s'échappe, qui prend la tangente, qui emprunte des trajets sinueux pour contourner les lieux qui font mal, sans pourtant parvenir à éviter l'inéluctable. Jusqu'à ce qu'on comprenne, peut-être, ce qu'il est vraiment. Une histoire de nostalgie, de désenchantement, d'enfance, de questionnement face au temps qui passe. Et bien sûr, une interrogation inquiète face à la chose littéraire en général et au polar en particulier. Une suite de questions qui font mal, embusquées derrière un récit d'une redoutable simplicité. Le polar de l'été est un livre très singulier qui fait mouche, doucement, insidieusement,  à coups de  lucidité, de clairvoyance et de cruauté.

Luc Chomarat, Le polar de l'été, La Manufacture de livres

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Articles récents