6 septembre 2018

Frédéric Paulin, "La guerre est une ruse" : quand la littérature éclaire le monde

Premier auteur français publié par Agullo, Frédéric Paulin n'en est pas moins un romancier aguerri : connu par les amateurs de polars et de romans noirs, il a publié chez l'éditeur rennais Goater, chez Alphée, et, plus récemment, à la Manufacture de livres, un roman choc "engagé et écologique", La peste soit des mangeurs de viande. Nouvel éditeur, nouvelle dimension : La guerre est une ruse est le premier volet d'une ambitieuse trilogie, et s'il est un polar historique bien documenté, il est beaucoup plus que cela. 

De l'Algérie, on se demande souvent naïvement pourquoi ce pays souffre depuis des décennies des pires calamités, sans jamais aboutir au relatif développement économico-touristique de ses voisins du Maghreb. De la colonisation à la violence de la guerre d'indépendance, de la guerre civile à la corruption généralisée puis à l'intégrisme religieux et à ses avatars terroristes, plusieurs générations ont ainsi payé un lourd tribut en termes de misère économique, d'injustice sociale, de privation de libertés et de démocratie bafouée. 
La France est largement partie prenante de ces atrocités, et Frédéric Paulin a choisi de faire débuter son récit au commencement des années 90, après les émeutes de 1988 et la victoire du FIS en 1991, suivie d'une guerre civile ultra-violente qui fera 55 000 morts... Nous sommes en 1992, et on commence par faire la connaissance du capitaine Albin Stein, dit le Français, agent de la DGSE en poste à Constantine qu'on retrouvera tout au long du roman. Mais c'est un peu plus tard que le lecteur va rencontrer celui qui va servir de héros au récit de Frédéric Paulin. Tedj Benlazar travaille lui aussi pour la DGSE et vit en Algérie depuis huit ans.

D'emblée, on saisit l'état d'esprit de cet homme tourmenté : "L'idée, c'est de ne pas se tirer une balle dans la bouche dans un moment de trop grande déprime. Tedj Benlazar n'y pense pas chaque matin. Mais de temps en temps, ça le prend (...)" On comprendra un peu plus tard l'incroyable secret que cache ce drôle de personnage... Un attentat terroriste vient de faire 9 morts et plus de 120 blessés à l'aéroport d'Alger : les autorités françaises, comme d'habitude, ne prennent pas la mesure de la situation, et c'est un crève-cœur pour Benlazar qui vit depuis des années loin de sa famille restée en France et perçoit tous les jours davantage les menaces qui pèsent sur l'Algérie... et sur la France, tout en enquêtant sur l'existence de camps de concentration, voire de camps d'extermination.

C'est par le regard de Benlazar que le lecteur va assister à la décomposition de la société qui l'entoure, à la multiplication des menaces et au décuplement des violences. Mais Frédéric Paulin a également créé des personnages secondaires passionnants, à commencer par un beau personnage de femme prise dans la tourmente, Gh'zala Boutefnouchet, la jeune fiancée de Raouf Bougachiche que tout le monde dit mort dans un de ces camps d'internement dont Benlazar soupçonne l'existence. Raouf, combattant islamiste, a disparu, laissant derrière lui sa vieille mère malade et son frère Slimane, engagé dans l'armée et bien décidé, lui, à en découdre avec les islamistes.  Le résumé en une seule famille de la complexité algérienne...

Les nombreux personnages qui animent l'intrigue de La guerre est une ruse remplissent parfaitement leur rôle : grâce à eux et au savoir-faire de narrateur de l'auteur, on comprend mieux les rouages qui animent les pouvoirs et les factions en place,  le rôle joué par la France dans le destin tragique de ce pays si proche, les effets terribles et parfaitement contemporains de cette inextricable tragédie. La personnalité des principaux personnages et leur fonction sont développées en profondeur, de façon formidablement sensible et habile, si bien qu'on a beau se trouver face à un récit aux ressorts complexes, à un subtil cocktail de réel et de fiction, on est immédiatement pris dans l'engrenage qu'a construit Frédéric Paulin. Qui fait ainsi la belle démonstration que la littérature est capable d'éclairer le monde tout en se hissant à la hauteur exigeante d'un récit de fiction parfaitement construit. Une belle réussite. 

Frédéric Paulin, La guerre est une ruse, Agullo éditions
 

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