22 août 2018

François Médéline, "Tuer Jupiter" : le roller coaster politique de la rentrée

Quand on referme Tuer Jupiter, on a l'impression d'avoir passé quelques heures dans une essoreuse à grande vitesse. Tuer Jupiter a ce pouvoir : mettre en mouvement ultra-rapide nos petites cellules grises, provoquant des accidents, des chocs, des ruptures et des changements de connexions capables de bouleverser notre façon de voir la politique, les politiques, bref les hommes qui sont supposés nous gouverner. Évidemment, après les événements qui ont agité le bocal français cet été, le livre peut prendre l'allure d'une provocation opportuniste : ce serait mal connaître François Médéline, qui prépare son coup depuis des mois et qui avait terminé son texte bien avant que M. Benalla fasse parler de lui. Si on a lu ses deux précédents romans, on s'autorise même à penser que Tuer Jupiter est un aboutissement certes en forme de chemin de traverse, mais somme toute assez logique, à sa démarche d'auteur. Le titre même de son premier roman, La politique du tumulte, contient déjà le ferment de Tuer Jupiter.
Résumer Tuer Jupiter ? Une gageure et un non-sens à la fois... En même temps, tout n'est-il pas dans le titre, à moins que justement, ce titre ne soit un gigantesque leurre, ...  Ce sera au lecteur d'en juger. Car là plus que jamais, François Médéline lance un défi à ses lecteurs : il leur laisse délibérément la responsabilité des conclusions qu'ils vont tirer, ou pas, de la lecture du roman. Il leur laisse aussi la liberté d'en être agacé, tant sa pratique narrative est aussi provocante et perturbante que les idées qu'elle est capable de susciter. François Médéline commence par planter le décor de ce qui n'est peut-être, après tout, qu'un fait divers un peu plus spectaculaire que les autres. Nous sommes le 3 décembre 2018. Le roman commence par une suite de tweets émis par Donald J. Trump, Gérard Collomb, le mouvement En Marche, l'Elysée, le compte d'Emmanuel Macron et celui de Brigitte Macron. Emmanuel Macron vient de faire son entrée, les pieds devant, au Panthéon. Et François Médéline prend un malin plaisir à s'immiscer dans la voiture qui transporte Brigitte Macron et Gérard Larcher, et nous restitue une conversation proprement surréaliste entre la veuve certes éplorée, en tailleur noir, mais toujours la langue bien pendue et le mépris prêt à l'emploi envers le malheureux Larcher auquel Médéline réserve un de ces traitements dont il a le secret. Le récit de la cérémonie vaut à lui seul qu'on s'y attarde : les puissants et leur cour, chacun dans son rôle, les Trissotin de la culture, les championnes de la communication, les journalistes de BFM et d'ailleurs, ils sont tous là, ridicules mais finalement pas très surprenants... Même René Char est de la partie, à son corps défendant, sous la forme du texte brodé au centre du drapeau tricolore qui recouvre le cercueil : "J'ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice" (une citation reprise d'un discours de feu le Président). L'humilité incarnée...

A partir de ce morceau de bravoure, qui rappelle à la fois l'entrée de Simone Veil au Panthéon... et les funérailles de Johnny Halliday (show business, quand tu nous tiens...), c'est à une partie de cache-cache que nous convie François Médéline. Avec quelques moments forts comme l'hommage funèbre de Gérard Collomb à "son" président. Un texte purement fictif, bien sûr, mais qui, si l'on s'amuse à relire certains  discours prononcés par notre ministre de l'Intérieur, sonne plus vrai que nature. On se prend à imaginer à quel point François Médéline a dû jubiler en écrivant ce passage-là. Des conséquences géo-politiques et militaires de l'assassinat du président français en passant par la séance de thanatopraxie pratiquée sur le corps du Président, Médéline ne nous épargne rien, mélangeant à plaisir les dépêches de presse, les tweets des journalistes et des hommes politiques au récit des jours qui précèdent la mort d'Emmanuel Macron, avec le voyage du couple présidentiel en Inde, cornaqué par l'inévitable Jean-Claude Carrière, quelques scènes privées particulièrement savoureuses - parfaitement politiquement correctes, qu'on se rassure. Des incursions en politique étrangère avec une scène d'anthologie mettant en scène Donald Trump et son fils, ainsi qu'une petite visite cocasse à Vladimir Poutine, de retour d'une virée en traîneau à chiens, torse nu sous sa peau d'ours blanc. Poutine aux mains de son masseur mongol, Poutine fan d'Olga Marquez, la chanteuse russe  grande prêtresse du "vivre sain". Et qui, entre deux pompes, lit quelques articles d'Izvestia et se réjouit de ce que l'Europe le déteste, déteste la Russie. "Et plus la Russie était détestée, plus les Russes l'aimaient." Ça n'est pas plus compliqué que ça...

On l'a compris, il ne s'agit pas de suivre un fil qui va nous amener à la vérité sur l'assassinat d'Emmanuel Macron. Médéline prend un malin plaisir à introduire dans son récit une intrigue parallèle (ou pas) impliquant les militaires, services secrets, voire barbouzes,  tout en nous racontant la préparation d'un hold-up sulfureux. Brouiller les pistes, dévoiler la vérité ? Médéline ne joue certes pas le jeu du roman noir. Il parsème son texte d'allusions, de clins d’œil, d'un petit hommage à Ellroy en passant. Au bout du compte, Tuer Jupiter est une farce tragique, une vision à la Jérôme Bosch ou à la James Ensor d'un monde gouverné par des humains vraiment trop humains qui le manipulent comme des enfants un peu pervers qui jouent à la guerre et à l'exercice du pouvoir. Les médias et les réseaux sociaux en prennent également pour leur grade... Et ce texte, comme la chanteuse cap-verdienne et ses maracas qu'on rencontre au détour des pages, "a réveillé les esprits. (Elle) a transpercé leurs cœurs insipides." Si seulement... 


A lire aussi : les précédentes chroniques des romans de François Médéline et ses interviews

François Médéline, Tuer Jupiter, La Manufacture de livres, en librairie à partir du 23 août

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