14 octobre 2018

Arni Thorarinsson, "Treize jours" : l'adolescence blessée

Le crime, histoire d'amour, paru début 2016, constituait un pas de côté dans l’œuvre de Arni Thorarinsson (voir la chronique ici). Dans cette histoire tragique, on avait délaissé le héros récurrent de Thorarinsson, le journaliste  Einar. Le revoici au premier plan dans Treize jours

Einar se débat entre deux histoires d'amour : sa liaison dangereuse avec l'ex-banquière Margret Karlsdottir, recherchée par la police pour malversations, et son histoire avec sa collègue du Journal du Soir, Sigurbjörg. La situation du quotidien est délicate : son directeur de la rédaction, Hannes, vient de mourir prématurément, les prédateurs se précipitent, il faut nommer un nouveau directeur, vite... Essayer de constituer un ensemble de petits actionnaires pour faire face au financier qui menace l'intégrité du journal. Bref, symboliquement, sauver la liberté de la presse, rien de moins... Einar est, à première vue, le mieux placé pour prendre la place de direction, puisqu'il en assume les fonctions depuis un certain temps déjà. Mais Einar et le pouvoir, ça ne fait pas bon ménage... 


Pour l'heure, il esr préoccupé par la visite d'un drôle d'ivrogne venu l'alerter sur le sort de Klara Osk Vidardottir Smith, 15 ans, qui n'a pas donné signe de vie depuis un certain temps... La fille de Einar, la jeune Gunnsa, fait un stage au journal en tant que photographe. Cette histoire-là la fascine : elle se passionne bientôt pour le sort de cette gamine de 15 ans, fille d'une pasteure de Reykjavik qui vit séparément du père de la jeune fille : le drôle de type venu donner l'alerte. Très vite, elle prend l'initiative et demande Klara Osk en amie sur Facebook. Bingo, la jeune fille répond et lui fixe un rendez-vous en pleine nuit dans un lieu à l'écart de la ville, en pleine nature, apprécié des randonneurs, des cyclistes et des pêcheurs, la vallée d'Ellidaardalur... Klara Osk est au rendez-vous. Elle git sur un sentier, à moitié nue, blessée  à la tête, étranglée, un objet incongru planté entre les jambes. On a retrouvé Klara Osk.
Elliðaárdalur1 957
La vallée d'Ellidaardalur - By Reykholt [CC BY-SA 4.0 
(https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)], from Wikimedia Commons

Treize jours, voilà le temps qu'il faudra à Einar, Gunnsa, Sigurbjörg, mais aussi à Jonas, flic de Reykjavik pour trouver le coupable. Treize jours, tel est aussi le délai que Margret a laissé à Einar pour se décider à la rejoindre dans sa cavale. Treize jours pendant lesquels nous, lecteur, allons nous efforcer de comprendre ce qui a bien pu amener cette jeune fille de 15 ans, fille d'une pasteure connue, à une mort aussi terrible... L'histoire que Thorarinsson déroule pour nous lui donne l'occasion de se confronter à des questions universelles. Car il ne fait pas dans l'exotique : le récit terrible qu'il nous fait se déroule, certes, à Reyjkjavik, mais pourrait tout aussi bien se passer à Londres, à Dublin, à Paris ou à Berlin. La mondialisation n'est pas qu'économique, elle est bien sûr sociétale, et cette mondialisation des crises se répand avec l'appui actif des nouvelles technologies, des réseaux sociaux et du numérique...

Arni Thorarinsson
 La vie de Einar est suspendue au destin du journal qui l'emploie, celle du journal  dépend des pressions qui menacent son indépendance. La vie de Jonas le flic en déprime suit la courbe descendante d'une vie conjugale pour le moins chaotique. L'existence de Sigurbjörg est contrainte par son conformisme pathologique. Seule Gunnsa, avec son enthousiasme, son esprit rebelle et sa jeunesse indomptable, nous maintient la tête hors de l'eau. Mais pour combien de temps ? Quant au destin de Klara Osk, qui est au centre du roman, il se joue sous le signe de la drogue, du sexe, de la violence et surtout d'un effrayant manque d'amour. Arni Thorarinsson, au terme d'un récit rythmé, précis, à l'écriture sensible et subtile, impeccablement traduit par Eric Boury, n'oublie jamais de travailler un suspense parfaitement orchestré, et réussit à nous tenir en haleine avec intelligence, élégance et lucidité, et à nous ménager une fin aussi étrange qu'ambiguë. A conseiller sans réserve.

Arni Thorarinsson, Treize jours, traduit de l'islandais par Eric Boury, Métailié Noir 

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