Quel plaisir de retrouver Cathi Unsworth ! Avec London Nocturne, son dernier roman habillé d'une couverture magnifique, elle reprend son bâton de pèlerin, celui qui la guide à rebours de l'histoire de l'Angleterre. Avec Bad Penny Blues (voir chronique ici), elle nous attirait à la fin des années 50, jusqu'à la veille des années pop. Dans London Nocturne, c'est le Londres de la Seconde Guerre mondiale qui sert de toile de fond à un roman très noir, où les femmes sont une fois de plus les victimes de terribles violences, de meurtres barbares... En 1942, les rues de Londres sont dévastées, les bombardements ont chassé de la capitale bon nombre de familles parties se mettre en sécurité à la campagne. Celles et ceux qui sont restés en ville doivent se battre pour survivre. Surtout les femmes... Pour celles qui gagnent leur vie en donnant du plaisir aux hommes, c'est double peine. Non seulement il faut survivre aux bombardements, aux privations, continuer à gagner sa vie, mais en plus il faut échapper aux violences et aux agressions. Depuis quelques semaines, un meurtrier particulièrement violent sévit, laissant derrière lui les cadavres mutilés de femmes de tous horizons, seules, abandonnées à leur sinistre destin...
L'inspecteur Greenaway enquête, et sa tâche n'est pas facile. Greenaway a beau être un fin connaisseur de tout ce que Londres compte en matière de malfrats, de voleurs et de petits escrocs, Londres aujourd'hui est peuplé de soldats venus d'ailleurs, la vie en temps de guerre n'a plus grand-chose à voir avec le quotidien habituel, les humains ne sont plus ce qu'ils étaient, les bons comme les méchants. Et ces derniers auraient plutôt tendance à le devenir plus encore. L'atmosphère est favorable à tous les trafics, à toutes les combines. Et au beau milieu de ce chaos, on continue à construire le nouveau pont de Waterloo... Justement, c'est du pont de Waterloo que Margaret McArthur, la dernière victime de la série, va tomber, sauvagement poussée par son assassin, "...baignant dans la Tamise, ses cheveux flottant autour d'elle, ses blessures teintant de rose les eaux sales." Ophélie assassinée... Cinq femmes, les deux Evelyn, Phyllis, Claudette et, pour finir, Margaret. Cinq victimes, un seul assassin ? Pas sûr. Greenaway, déterminé, va explorer les méandres de sa ville éventrée, martyrisée, et traquer son gibier sans pitié.
Cathi Unsworth nous livre les portraits sur le vif de ces femmes sacrifiées : leurs espoirs, leur crédulité, leur imprudence, leur agonie. Ceux des femmes qui survivent, les fortes et les faibles, les coquettes et les autres. Et ceux des hommes qui gravitent tout autour des mortes et des vivantes: flics, souteneurs, maris abusés et inconscients, escrocs à la petite semaine, prestidigitateurs minables... Tout ce petit monde s'agite au son de la musique de l'époque - chaque chapitre porte le titre d'une chanson des années 40 - , au rythme des combats d'idées avec les mouvements anti-peine de mort, avec cette pincée d'occultisme caractéristique de l'engouement des Anglais pour le surnaturel, la divination et les médiums. Cathi Unsworth s'est inspirée d'un fait divers bien réel : "l'histoire de l'élève pilote de la RAF Gordon Cummins, qui assassina sauvagement quatre femmes et tenta d'en tuer au moins deux autres." Une affaire qu'elle s'est appropriée, comme elle sait si bien le faire, et qui donne à London Nocturne la force de la vérité, la puissance de la révolte, dans un style qui n'appartient qu'à elle et qui insuffle au roman une ampleur tragique d'une rare intensité. Encore une fois, Cathi Unsworth réussit son tour de magie et parvient à nous transporter dans le temps, tout en bâtissant, patiemment, l'image d'un pays et en nous aidant à le comprendre, sans doute, un peu mieux.
Cathi Unsworth, London Nocturne, traduit par Isabelle Maillet, Rivages / Noir
Cathi Unsworth, London Nocturne, traduit par Isabelle Maillet, Rivages / Noir
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire