On annonce une canicule à 40°, on se précipite sur les climatiseurs et les ventilateurs. Voilà une idée toute fraîche pour résister à la chaleur : le nouveau roman de Luc Chomarat qui, après Le Polar de l'été (voir chronique ici), nous offre cette année un de ces bijoux dont il a le secret. Le genre de texte qui donne au lecteur l'impression qu'il est intelligent, ce qui est plutôt malin. Le genre de texte qui vous redonne goût à la littérature, pour peu que vous l'ayez perdu - ça peut arriver... Le genre de texte qui vous arrache un sourire qui ne quittera pas votre visage tant que vous n'aurez pas tourné la dernière page.
Le dernier thriller norvégien, pour autant, n'est pas un feelgood book. D'ailleurs, si vous êtes extrêmement cartésien, il se peut que vous lui résistiez, ce qui serait vraiment dommage. Nous sommes à Copenhague. Eh oui, contrairement à ce que le titre voudrait nous laisser croire, ce n'est pas à Oslo que se déroule cette très étrange histoire. A Copenhague donc, un serial killer surnommé l'Esquimau fait ce qu'est censé faire tout serial killer: des victimes. Coupées en morceaux.
Dans un hôtel de luxe, déco scandinave, confort scandinave, bière scandinave, se retrouve tout ce que l'édition parisienne compte d'éditeurs au portefeuille bien garni, vu qu'il s'agit d'emporter avec soi les droits du dernier thriller norvégien (nous y voilà), signé par le célèbre Olaf Gründozwkzson. Huit cents pages, ça vaut de l'or : les romans de l'auteur sont des best-sellers, ils sont adaptés au cinéma, en jeux vidéos, bref personne n'y échappe. Parmi les impétrants, l'éditeur Delafeuille, qui peut s'enorgueillir - ou pas - d'avoir publié, quelques décennies auparavant, une série signée John Davis mettant en scène l'aventurier Bob Dumont. Madeleine Murnau, du groupe Hachette, s'en rappelle bien et se fait un plaisir de le faire remarquer à son confrère confus et honteux "Je me souviens que mon frère lisait ça en cachette de nos parents. Il y avait du cul, des scènes de torture..." Bref, des succès que l'éditeur aimerait bien oublier...
Très vite, l'histoire dérape. Tout commence par une étrange rencontre : celle d'un Anglais qui affirme s'appeler Sherlock Holmes et qui, en plus, fume une pipe à la forme très caractéristique. Ce soir-là, un coursier livre à Delafeuille un exemplaire de l'édition danoise du nouvel opus d'Olaf Gründozwkzson. Et là, tout bascule : on ne s'étonne même pas que Delafeuille se lance dans la lecture d'un texte en danois, ça n'est qu'un détail à côté de ce qui va suivre. Car la fiction va faire une incursion remarquable dans la réalité. A moins que ce ne soit le contraire, sait-on jamais avec cet auteur-là. Si on veut se rassurer, on dira qu'il s'agit d'un "produit hybride interactif". Et pendant ce temps-là, l'Esquimau continue à exterminer tout ce qui lui tombe sous la main, y compris à l'hôtel danois chic, où une jeune femme est retrouvée éventrée dans un placard. Un peu plus tard, c'est l'agent même de Gründozwkzson qui tombe sous les coups de l'Esquimau, débité en morceaux, comme il se doit. Mais où cela va-t-il s'arrêter? Le plus effarant, c'est que le roman, non content de s'immiscer dans la vie de Delafeuille, semble avoir un pouvoir prémonitoire et annoncer les événements à venir. Et les personnages s'y mettent, comme dans cette conversation entre Delafeuille et Holmes :
"Oui, nous sommes piégés.
- Nous pourrions aller aux putes.
- En effet.
- Ou même nous mettre tout nus et courir dans le froid en faisant coin-coin.
- C'est atroce.
- Mais vrai.
- Tenez bon, la fin du chapitre n'est plus très loin."
Effectivement, deux lignes plus bas, le chapitre 12 est terminé.
On l'a compris, Luc Chomarat s'amuse. Il joue avec les mythes, il joue avec les patronymes - entre l'éditrice Murnau et les flics Bjonborg et Willander... Il joue avec les genres littéraires, malmène le petit milieu de l'édition, jette un regard aussi caustique qu'inquiet sur le monde qui nous entoure et nous dépasse, avec une attention particulière pour son absurdité. Ce qui ne l'empêche pas de rendre hommage, avec une certaine tendresse, aux romanciers appartenant au "genre" scandinave. Ainsi, évoquant Henning Mankell, il a cette réflexion particulièrement sensible : "J'aime particulièrement la façon dont Mankell parle du vieillissement, de la terreur qui l'accompagne, sourde, lente. Il parle de la mort naturelle comme s'il s'agissait d'un crime impuni." Jack London s'invite aussi dans l'affaire quand il s'agit de "construire un feu". Tout comme un roman intitulé Le Dernier thriller norvégien. Luc Chomarat pose sans hésiter les questions qui, sans doute, taraudent les auteurs de polars, et il y apporte ses propres réponses, en équilibre instable, intelligentes, généreuses. Il développe ainsi une vision très troublante du lien qui unit l'auteur et son personnage, évoque, en toute désinvolture, la question du livre numérique, livre une analyse de son propre roman dans un chapitre en forme de matriochka... Sans jamais oublier l'enquête, menée de main de maître par un Sherlock Holmes admirable, car il s'agit aussi de "jouer le jeu". Le Dernier thriller norvégien est le roman d'un amoureux de la littérature, d'un véritable connaisseur dénué de toute cuistrerie. Un peu comme Jean Echenoz, Luc Chomarat a le don de changer de ton d'une ligne à l'autre, provoquant ainsi des rebondissements stylistiques parfaitement délectables. Humour, finesse, élégance, style : à coup sûr, vous avez trouvé votre roman de l'été.
Luc Chomarat, Le Dernier thriller norvégien, La manufacture de livres
"Oui, nous sommes piégés.
- Nous pourrions aller aux putes.
- En effet.
- Ou même nous mettre tout nus et courir dans le froid en faisant coin-coin.
- C'est atroce.
- Mais vrai.
- Tenez bon, la fin du chapitre n'est plus très loin."
Effectivement, deux lignes plus bas, le chapitre 12 est terminé.
On l'a compris, Luc Chomarat s'amuse. Il joue avec les mythes, il joue avec les patronymes - entre l'éditrice Murnau et les flics Bjonborg et Willander... Il joue avec les genres littéraires, malmène le petit milieu de l'édition, jette un regard aussi caustique qu'inquiet sur le monde qui nous entoure et nous dépasse, avec une attention particulière pour son absurdité. Ce qui ne l'empêche pas de rendre hommage, avec une certaine tendresse, aux romanciers appartenant au "genre" scandinave. Ainsi, évoquant Henning Mankell, il a cette réflexion particulièrement sensible : "J'aime particulièrement la façon dont Mankell parle du vieillissement, de la terreur qui l'accompagne, sourde, lente. Il parle de la mort naturelle comme s'il s'agissait d'un crime impuni." Jack London s'invite aussi dans l'affaire quand il s'agit de "construire un feu". Tout comme un roman intitulé Le Dernier thriller norvégien. Luc Chomarat pose sans hésiter les questions qui, sans doute, taraudent les auteurs de polars, et il y apporte ses propres réponses, en équilibre instable, intelligentes, généreuses. Il développe ainsi une vision très troublante du lien qui unit l'auteur et son personnage, évoque, en toute désinvolture, la question du livre numérique, livre une analyse de son propre roman dans un chapitre en forme de matriochka... Sans jamais oublier l'enquête, menée de main de maître par un Sherlock Holmes admirable, car il s'agit aussi de "jouer le jeu". Le Dernier thriller norvégien est le roman d'un amoureux de la littérature, d'un véritable connaisseur dénué de toute cuistrerie. Un peu comme Jean Echenoz, Luc Chomarat a le don de changer de ton d'une ligne à l'autre, provoquant ainsi des rebondissements stylistiques parfaitement délectables. Humour, finesse, élégance, style : à coup sûr, vous avez trouvé votre roman de l'été.
Luc Chomarat, Le Dernier thriller norvégien, La manufacture de livres
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