6 juin 2019

Wojciech Chmielarz, "La Colombienne" : quand l'inspecteur Mortka décolle

Les séries ne sont pas si populaires que cela dans nos contrées francophones, allez savoir pourquoi. Il faut aux personnages récurrents un certain temps pour s'installer, et comme le monde de l'édition a perdu sa patience, il est devenu  bien difficile à de nouveaux enquêteurs de s'imposer. Et puis de temps en temps, victoire ! Un nouveau héros est né. C'est le cas de Jakub Mortka, dit le Kub, créature de l'auteur polonais Wojciech Chmielarz, dont les éditions Agullo viennent de publier la troisième enquête, déjà récompensée par le Prix du meilleur polar polonais. Après Le pyromane (voir chronique ici) et La ferme aux poupées (voir chronique ici et interview là), La Colombienne marque une étape dans l'évolution du romancier et de son héros: les intrigues se multiplient, s'entrecroisent et se rejoignent, l'histoire s'internationalise et prend du coup une ampleur plus ambitieuse. Dans ces cas-là, un danger guette : celui de la métamorphose du personnage, éventuellement d'une certaine "standardisation" . Wojciech Chmielarz n'est pas tombé dans le piège : le personnage du Kub continue à évoluer, à mûrir, mais sa personnalité profonde reste la même, et c'est tant mieux, car comme chez les "vrais" humains, ce sont souvent les failles qui font d'un héros romanesque ce qu'il est et qui le rendent attachant.
Varsovie. Polaco termine sa tournée de recrutement : au volant d'un van rouge aux couleurs de Coca Cola, il fait son casting. Le but : recruter un certain nombre de jeunes beaux, fragiles, crédules et assoiffés de richesse et de réussite. Coca Cola recherche des jeunes pour leur faire tourner un clip de pub aux Caraïbes. Des vacances au soleil tous frais payés, le fantasme de la célébrité et de la richesse: il n'en faut pas plus pour convaincre une bande de copains d'accepter le deal. Ils ne sont plus des enfants, mais ils croient toujours au Père Noël. Car bien sûr, le rêve va bientôt se transformer en cauchemar : les gamins vont se retrouver enfermés dans un hôtel colombien qui, hormis sa piscine et sa situation en bord de mer, ne fait pas vraiment rêver. Pas question de faire du tourisme : la Colombie n'est pas un pays sûr... Au bout d'une semaine, les choses se précisent : le tournage est annulé, problème de production, il va falloir rentrer. Pas si simple... Débarque une bande de durs pas vraiment disposés à transiger : il va falloir rembourser les frais. Les gamins n'ont pas un sou, ils vont donc devoir payer de leur personne, accepter de transporter de la dope. Le piège s'est refermé... La bande de jeunes, bon an mal an, rentre au bercail après s'être acquittée de sa mission. Tous, sauf une, Agnieszka, qui s'est rebellée et a tenté un départ vers New York. On n'entendra plus jamais parler d'elle.

Le 24 mai dernier, Wojciech Chmielarz présentait
"La Colombienne" à la librairie Les Guetteurs de vent.

Quelque temps plus tard, à Varsovie, Jakub Mortka poursuit, cahin caha, un bras dans le plâtre, sa vie de flic citadin. Toujours aussi déprimé, toujours aussi divorcé de sa femme Ola, qui file le parfait amour avec Adam Keller, un juriste bien sous tous rapports. Pour couronner le tout, le Kub attend les résultats de son test HIV : lors de sa dernière enquête, il craint d'avoir contracté le virus du SIDA. Il n'est pas donc pas à proprement parler au meilleur de sa forme. Ce jour-là, le Kub va rencontrer son rival pour la première fois : il a été invité à une petite fête dans l'appartement de luxe d'Adam. Jacuzzi, décoration raffinée, lit géant. Et puis une pièce fermée : la chambre où Adam a prévu d'accueillir les fils de Jakub et Ola : "S'ils devaient par exemple rester une nuit. Qu'ils aient un coin à eux." Voilà qui n'apaise pas la rage du Kub. Mauvaise soirée... Même si Olga Korzen est là, et qu'elle ne lui est pas indifférente.

Le lendemain matin, Mortka est appelé d'urgence au commissariat. Un homme vient d'être retrouvé pendu sous un pont. Suicide? Sûrement pas : le corps a le ventre ouvert et les mains liées dans le dos... C'est parti pour le Kub. On le connaît : malin, opiniâtre, colérique, quand il enquête, c'est pour trouver. Sauf que là, il ne s'agira pas seulement de trouver un assassin. La victime, Bartosz Falencki, est un homme d'affaires qui a réussi, associé à deux autres brillants entrepreneurs. Célibataire, trentenaire, homosexuel, soigné mais pas très sexy, il a connu une fin digne d'un film d'horreur. Comble de l'étrange, il serre dans sa main... une cacahuète. 

Pour cette enquête, on a désigné au Kub une nouvelle partenaire : l'aspirante Suchocka, dite La Sèche. Parfaitement assortie en apparence à son surnom, au physique comme au moral, la Sèche va se révéler redoutablement compétente, et beaucoup moins sèche qu'elle y paraît. Une partenaire précieuse, en quelque sorte. Ensemble, les deux enquêteurs vont remonter une piste escarpée, se perdre le long de chemins de traverse et de culs-de-sac piégés, et déboucher sur une véritable organisation mafieuse... A la recherche d'un pervers meurtrier, c'est un réseau d'escrocs qu'il vont mettre au jour, avec les périls que cela implique. Et bien sûr, au détour d'un chemin, c'est à l'histoire colombienne qu'ils vont se heurter. La boucle est bouclée, mais au prix de bon nombre de péripéties et de surprises particulièrement réussies. C'est un plaisir presque coupable que de suivre l'enquête du Kub, que de le voir se tromper, puis triompher, d'avoir peur pour lui et son acolyte, d'attendre que l'auteur veuille bien nous dire s'il est malade ou pas... Bref, une fois au bout du chemin, après avoir tourné la dernière page, on n'a qu'une envie : retrouver Jakub Mortka dans sa prochaine enquête.

Wojciech Chmielarz, La Colombienne, traduit par Erik Veaux, Agullo éditions

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