En juin 1940, deux millions de Parisiens fuient sur les
routes pour échapper à l’occupation allemande qui commencera à Paris dès le 14
juin : c’est l’exode. De nombreux
cortèges sont bombardés : on évalue le nombre de victimes tuées à 100 000,
sans compter les blessés… Les villes de la zone libre doivent faire face à l’arrivée
massive de ceux que Pétain, en 1941,
appellera les fuyards…
L’exode, la
débâcle : dans pratiquement toutes les familles, grands-parents et
arrière-grands-parents racontent cette aventure de tous les dangers.
En voiture, en camion, en vélo, en moto, en charrette, en train : hommes,
femmes et enfants se réfugient chez les membres de la famille ou les amis qui
ont la chance d’habiter hors zone occupée. Les souvenirs sont douloureux, mais
ils sont parfois aussi, paradoxalement, nostalgiques : les enfants se
rappellent la campagne, les courses à travers champs et forêts, les cousins et
les cousines, la famille qu’on ne voit pas si souvent… Rappelez-vous
Jeux interdits.
Voilà la période un peu oubliée à laquelle Romain Slocombe a
choisi de consacrer son nouveau roman.
Après la trilogie Léon Sadorski, qui racontait le destin d’un salopard, il
se penche avec son savoir-faire habituel sur cette période de l’histoire de la Seconde
Guerre mondiale, et, cette fois, jette un regard particulièrement attentif et
lucide, parfois cruel, sur la famille Perret,
de la grande bourgeoisie parisienne, le
jeune soldat Lucien, l’avocat fasciste Guirlange, Hortense la solitaire, à la
recherche de son fiancé Lucien le jeune soldat, et d’autres personnages très ordinaires,
dont le destin va basculer pendant cette semaine du 10 au 17 juin 1940.
Bundesarchiv, Bild 146-1971-083-01 / Tritschler /CC-BY-SA 3.0 |
Le 10 juin 1940, la famille Perret – les parents Jean-Frédéric
et Laure, les enfants Jacqueline et
Bernard, la jeune bonne Simone et le chien Zig sont en retard. Ils viennent de
monter dans la Studebaker familiale surchargée et de quitter leur domicile de l’avenue
d’Eylau. Les nouvelles sont inquiétantes : les Allemands viennent d’envahir
la Belgique, dans quelques jours ils seront à Paris. Pour les Perret, pas d’hésitation
possible : ils se rendront dans leur famille, à
Châteauneuf-sur-Loire. Le problème, c’est
qu’ils ne sont pas les seuls à avoir pris la même décision. Prendre la N20
direction Orléans, cela paraît tout simple. Ce jour-là, cela relève de l’exploit. La famille Perret prend son mal en patience,
même si l’on sent un brin d’agacement. La jeune Jacqueline regarde, fascinée,
le ballon-saucisse qui flotte dans le ciel de Paris tout en pensant aux
garçons. Son frère aîné Bernard proteste contre l’itinéraire choisi par son
père, et se fait vite remettre à sa place…
Le même jour, Lucien
Schraut essuie depuis trois jours et trois nuits les bombardements des Stukas ;
c’est la bataille de l’Aisne… Le jeune
photographe songe à sa vie d’avant , ses discussions avec Man Ray ou
Brassaï, son engagement politique pour les républicains espagnols. Et il fuit, car l’infanterie allemande est
là, elle avance impitoyablement… Pendant ce temps, sa fiancée Hortense attend
vainement de ses nouvelles.
L’avocat Paul Guirlange, frère cadet de Laure Perret, dans
son appartement du VIe arrondissement, est persuadé que dans un mois, la vie aura
retrouvé son cours normal. Cet homme-là est sûr de lui, jusqu’à un certain
point. Il penche clairement du côté des nazis…
Et pourtant, sa sœur lui a bien dit que le lendemain, ce serait trop
tard pour partir. Que faire ?
Voilà, l’aventure vient de commencer. Jour après jour,
Romain Slocombe va nous raconter le lent
cheminement des personnages qu’il a choisi de suivre. Dans un style âprement
descriptif, sans nous épargner les moments de violence, il va les accompagner, sans jamais les juger, les regarder agir et réagir, nous laisser découvrir
les petites et grandes monstruosités humaines dont ils sont capables, nous
raconter les rencontres salutaires ou abominables qui vont changer le cours des
choses.
De la relative innocence de la jeune Jacqueline à la cruauté à peine
consciente de ses parents, de la
générosité de Lucien au cynisme mal inspiré de Guirlange, les ressorts de l’humanité
soumise au chaos n’ont aucun secret pour l’auteur dont l’apparente distance ne
fait qu’accentuer les effroyables
révélations qu’il nous livre tout au long de ce roman remarquable. Sa précision historique, son souci de la
langue et des expressions d’époque, notamment lorsqu’il fait parler la jeune
Jacqueline, confèrent à La débâcle un caractère à la fois authentique et
rigoureux ; quant à sa clairvoyance, elle donne à ce roman historique
une portée universelle, aussi contemporaine que redoutable.
Romain Slocombe, La débâcle, Robert Laffont
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