Après son formidable Ange rouge sorti à la Manufacture de livres il y a quelques mois (voir chronique et interview ici), François Médéline nous fait la surprise de revenir avec ce roman publié directement en format de poche. D'emblée, l'auteur nous avertit : ce roman-là occupe une place à part. Dès la dédicace à ses grands-pères, on comprend que l'histoire qui va suivre touche au cœur de sa mémoire personnelle et familiale. Le Vercors, berceau familial, lieu dont le seul nom évoque chez chacun d'entre nous l'histoire de la Résistance, lieu de mémoire personnelle et collective.
Nous sommes en septembre 1944, il fait chaud. Georges Duroy, commissaire de police près le délégué général à l'épuration venu de Lyon, arrive dans le Vercors à bord de sa Peugeot 402 légère. D'emblée, il est confronté aux maquisards qui lui demandent son laissez-passer. Entre le fonctionnaire de police et les maquisards, l'ambiance est électrique, l'hostilité prégnante... Cet homme de la ville est chargé de transférer la prisonnière Sarah Ehrlich, dite "la baronne".
Derrière les maquisards, une jeune femme en treillis observe la scène. Judith Ashton, journaliste américaine, travaille dans le Vercors depuis un moment déjà. Tout le monde la connaît, on la voit tracer sur sa bicyclette blanche sur les routes des villages et des campagnes, son Leica III dans son sac à dos. Elle fait pratiquement partie du paysage, maintenant, et connaît la région et les habitants comme sa poche.
Ce jour-là, on a retrouvé le corps d'une jeune femme, Marie Valette, fille de résistants, fiancée d'un des maquisards. Elle a été violée, violemment frappée et sauvagement tondue. La baronne attendra : Duroy, en dépit de son titre, déteste cet aspect-là de l'épuration. Il va enquêter, et c'est Judith Ashton qui va lui servir de poisson pilote dans un monde qu'il ne connaît pas et qui lui est hostile par principe.
Pour compléter le tableau des forces en présence, une communauté de clandestins italiens installée dans la plus grande précarité, en butte à la défiance et à la xénophobie des autochtones. De parfaits boucs émissaires.
Image par lolorun de Pixabay |
Le décor est planté pour cette histoire qu'on va suivre comme on regarde un film savamment découpé, à la Jacques Becker. La tragédie va se jouer entre des personnages plus complexes qu'il y paraît, comme si un démiurge avait jeté un coup de projecteur sur les histoires personnelles qui fourmillent sous couvert de la grande Histoire, révélant un monde ou le bien et le mal ne sont pas aussi éloignés qu'on voudrait le faire croire, où les innocents sont parfois coupables et vice versa.
Pour ce texte, François Médéline a choisi un style sobre, délaissant pour un temps ses influences ellroyesques assumées, et réussit du coup un roman aussi émouvant qu'inspirant, à l'image de la superbe photo de la couverture. Ses chapitres, qui portent tous le titre d'un poème écrit par un résistant, nous amènent sans affèterie directement au cœur de la nature humaine : trahison, loyauté, courage, lâcheté, amour, fidélité, rivalités viriles... La Sacrifiée du Vercors est aussi un hommage sobre et émouvant aux femmes victimes de l'épuration, ce mot qui à lui seul contient toute la haine du monde.
François Médéline, La Sacrifiée du Vercors, 10/18
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