L'Irlandais du nord Sam Millar, après une série de quatre romans qui mettaient en scène l'enquêteur Karl Kane, nous revient avec un roman de hold up. Un hold up raté, et pire encore... Les trois gaillards, avec à leur tête Jim McBride, qui ont décidé de s'attaquer à la Bank of New Republic de Donegal Place, au cœur de Belfast, le soir de Halloween, n'ont pas bien fait leurs devoirs. Ils ont décidé de passer à l'action juste avant l'heure de fermeture : manque de chance, les espèces sont quotidiennement relevées par un fourgon de la Brinks (clin d’œil !) une heure avant. Résultat : les caisses sont vides. Mais il y a des clients dans la banque. Tentant le tout pour le tout, les braqueurs s'en prennent à l'un d'entre eux et repartent avec sa valise. Décidément, la chance ne leur sourit pas : ils ont choisi la mauvaise victime. Le lendemain, bizarrement, les flashes d'actualité racontent l'attaque, mais omettent de mentionner l'agression du client et le vol de sa valise. Seamus Nolan, le client, n'est pas n'importe qui. Il fait partie de la Fraternité pour la liberté irlandaise, pas précisément des enfants de chœur. C'est sa fête ce jour-là : il s'est fait voler un pactole et ses amis n'entendent pas en rester là...
Jim McBride et ses copains n'ont qu'à bien se tenir. La Fraternité a les moyens de ses ambitions, et un réseau de criminels prêts à en découdre. Du coup, le pactole se transforme en malédiction. Sam Millar retrouve dans ce roman une de ses grandes forces : il sait créer des personnages hors du commun. A commencer par celui qui ouvre le roman, dans une scène particulièrement violente qui va expliquer la nature très particulière du protagoniste le plus singulier et le plus dangereux de cette histoire. On l'appelle Rasharkin, il vit dans le Brighton Building qui abrite des appartements de grand luxe en plein centre de Belfast. Le dénommé Rasharkin, ancien collectionneur d'art, se passionne pour Harmenszoon, créateur culte de toute une famille de super-héros, dont le nom étrange est aussi le deuxième prénom d'un dénommé... Rembrandt. Rasharkin est richissime, et il protège jalousement sa précieuse collection. Mais il est bien davantage qu'un simple collectionneur : chez lui trône un bureau ayant appartenu à Harmenszoon, ainsi que bon nombre d'objets de l'artiste. L'homme est un esthète : chez lui, il écoute Lakmé, de Léo Delibes, confortablement installé dans un canapé de chez Raft Manhattan, un verre de Lagavulin 16 ans d'âge à la main. Il lui arrive aussi de pleurer en regardant un film porno dont les dialogues, pour le coup, manquent un peu d'élégance.
Albert Bridge / Donegal Place, Belfast |
Au moment où on fait sa connaissance, Rasharkin vient de recevoir un paquet d'une valeur inestimable : un dessin original du Dark Avenger. Rasharkin est fasciné: "de petites décharges d'électricité se mirent à lui masser le corps (...) Il approcha le dessin de son visage, ferma les yeux, huma le vellichor émanant du papier, l'odeur opiacée du passé et de l'enfance. En un instant, un sentiment paradoxal de bonheur et d'angoisse le submergea." Inutile de dire que Rasharkin est une émanation directe d'une des passions de Sam Millar. Il n'en est pas de même (du moins on l'espère !) pour l'autre caractéristique du personnage. Car Rasharkin est aussi un assassin très recherché pour le raffinement et l'extrême cruauté de ses méthodes... La bande de Jim McBride va en faire la douloureuse expérience.
Sam Millar distribue autour de son personnage central les autres protagonistes de cette sombre affaire, à commencer par Jim McBride et ses complices, sans oublier Harry, l'enquêteur qui va mener la danse et en voir de toutes les couleurs. Le chapitre 7 commence par une citation de Raymond Chandler, une réflexion signée Philip Marlowe dans Le Grand sommeil : "Mon Dieu ! Tant de fusils dans la ville et si peu de cerveaux." On ne saurait mieux dire. Harry est à quelques jours de la retraite, il a des problèmes de prostate et aurait probablement préféré échapper à cette affaire de hold up raté. Mais malgré son âge et ses méthodes démodées, Harry va se montrer particulièrement opiniâtre et mettre à profit sa longue expérience, sa connaissance de la ville et de ses réseaux souterrains.
Un tueur sur mesure est un polar nerveux et efficace, une galerie de portraits particulièrement savoureuse. Sam Millar n'a rien perdu de son humour, de ses métaphores fleuries et de sa férocité, et surtout, il nous rappelle qu'à Belfast, rien n'est jamais vraiment apaisé...
Sam Millar, Un tueur sur mesure, traduit par Patrick Raynal, Métailié noir
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