10 septembre 2023

2023, un été d'enfer

 


C'est la rentrée, et avec elle la vague de romans qui menace de submerger les lectrices et les lecteurs. Même si on dit souvent qu'en matière de roman noir, la rentrée, c'est toute l'année. C'est pourquoi j'ai choisi, pour ce billet de rentrée, de vous parler de trois livres parus... avant l'été. Tout simplement parce que ces trois-là m'ont accompagnée dans des moments aussi difficiles qu'exotiques, histoire de rappeler que les auteurs sont, certes, des gens qui écrivent, mais aussi des êtres capables, à distance et sans nous connaître, de nous apporter  le réconfort, mais surtout la volonté d'aller de l'avant, à la découverte d'autres auteurs - ils sont rares, certes - qui occuperont dans notre vie une place unique, irremplaçable, primordiale. La rentrée, la "vraie", fera son apparition sur ce blog un peu plus tard, une fois que j'aurai pour la première fois mis les pieds à Stirling pour le festival Bloody Scotland.


On va commencer par un livre qui n'est pas encore traduit (espérons qu'il le sera bientôt) et qui n'est pas un roman noir. L'auteur ? Cathi Unsworth (voir chroniques et interviews ici). Le titre ? Season of the Witch - The Book of Goth (Nine Eight Books). Cathi Unsworth, les amateurs de romans noirs la connaissent bien. Dans pratiquement tous ses livres, la musique occupe une place de choix. Cette fois, c'est le "noir" qui joue dans ce livre sur le mouvement Goth le rôle de la toile de fond, sur laquelle vont se tisser des histoires passionnantes et se broder des souvenirs musicaux que tous ceux qui se passionnent pour la musique iront chercher dans les tréfonds de leur mémoire. Cathi Unsworth s'y révèle aussi bonne historienne et observatrice que spécialiste en musique : pas question pour elle d'évoquer tour à tour les groupes qui ont fait, de près ou de loin, le mouvement Goth. Ce mouvement-là, elle sait l'inscrire dans l'histoire, en particulier l'histoire du Royaume-Uni. Elle a donc relevé le défi de passer au-delà du miroir, d'expliquer que le Goth, c'est bien davantage que les oripeaux qu'on lui associe - cheveux en pétard, vêtements noirs, maquillage expressionniste - même si ces derniers jouent, effectivement, un rôle esthétique qui a le mérite de s'offrir à tous, comme la musique qu'ils accompagnent. Le Goth n'est pas élitiste : il offre une forme de liberté du désespoir aux jeunes gens qui, comme Cathi elle-même, ont vécu cette métamorphose concommittante avec un contexte social et politique aussi complexe que désespérant. Dès la première page, l'autrice montre qu'elle ne va pas se limiter à une étude de critique rock; elle y évoque la fin des années 70 et le début des années 80, les grèves, la mort de Sid Vicious, le meurtre d'un manifestant au cours d'une manifestation anti-Nazi... Et puis l'éventreur du Yorkshire, qui vient de faire sa onzième victime et qui inspirera à David Peace, l'ami fidèle, son incomparable Quatuor du Yorkshire. Cathi Unsworth part sur les traces des artistes qui ont fait le mouvement Goth, et elle s'attache à remonter les liens qui les unissent, créant ainsi une sorte de toile d'araignée mondiale qui ravira les amateurs. L'avant, le pendant, l'après : elle trace les sources, les influences, les tenants et les aboutissants, dressant du même coup un portrait saisissant d'une époque qui fascine et qui, vu la renaissance de l'engouement pour le Goth qu'on constate au Royaume-Uni, n'est pas sans affinités avec celle que nous vivons. Un livre incroyable, foisonnant, érudit et tout bonnement fascinant.



Cela faisait un moment qu'on n'avait pas entendu parler de Denise Mina en France (voir chroniques et interviews ici). Son incroyable livre sur Peter Manuel, serial killer de Glasgow dans les années 50, n'a pas été traduit et c'est bien dommage car, même si l'affaire Peter Manuel n'a pas eu ici l'impact qu'elle a exercé outre-Manche, le roman, intitulé The Long Drop, est une œuvre à la construction audacieuse et complexe, et une vision très personnelle de ce que pourrait être le "true crime". La voilà de retour avec Conviction, paru chez Alibi. Un roman qui lui a permis d'entrer dans le club très "vendeur" des bestsellers du New York Times. Grande question : avec cette entrée dans le monde du roman à suspense, voire du thriller, Denise Mina a-t-elle perdu son âme et son style ? Réponse tout de suite : non ! Si Conviction est un roman plus facile d'accès que The Long Drop, avec ses courses poursuites entre l'Écosse, l'île de Ré, l'Italie et Paris, son autrice n'a rien perdu de son style - rapidité, accélérations, incises assassines, dialogues incisifs, construction parfaitement maîtrisée, tout est là, ouf ! Denise Mina aborde aussi des questions qui habitent son œuvre depuis longtemps : celle du sort des femmes, celle de l'identité. Car dès le début, on s'aperçoit que l'héroïne n'est pas vraiment ce qu'elle voudrait faire croire. Dès les premières pages, la vie du personnage principal va basculer, et pas qu'un peu... Anna McDonald a épousé un avocat de Glasgow, elle vit confortablement dans une très jolie maison avec son mari et ses deux filles. Ce matin-là, il est tôt et elle s'apprête à écouter un podcast de true crime : un moment de détente dérobé à la famille. Elle a prévu d'écouter le premier épisode avant d'accompagner les filles à l'école, puis d'enchaîner avec les épisodes suivants pendant la journée. Sauf que ce podcast-là, l'histoire du curieux naufrage d'un yacht du côté de l'île de Ré, va réveiller en elle des souvenirs qu'elle préférerait oublier, du temps où elle ne s'appelait pas encore Anna. Et puis la catastrophe : son mari Hamish a décidé de la quitter pour sa meilleure amie Estelle. Là, tout de suite, maintenant. En emmenant les enfants. Cette fois c'est certain, il va falloir faire face au passé, cesser de se cacher et de fuir, mettre à jour la vérité. Revivre les événements qui ont fait d'elle une fugitive, les violences, les mensonges, confronter son ennemie jurée Gretchen. Tout cela en compagnie de Fin, le mari d'Estelle, ancien musicien célèbre anorexique, boulet de charme. L'intrigue est riche en rebondissements, l'histoire ponctuée par les podcasts qu'écoute Anna et qui vont l'amener à prendre tous les risques, l'héroïne est aussi fragile que déterminée, bref on ne lâche pas Conviction avant d'en avoir tiré la vérité, la vraie ! Depuis, Denise Mina n'a pas lâché la plume puisqu'elle vient de publier un roman mettant en scène... Philip Marlowe, The Second Murderer, qu'on lira très vite.





L'Irlandais Adrian McKinty (voir les chroniques ici), qu'on aime surtout pour la série des Sean Duffy - on apprend avec plaisir qu'un nouveau volume vient de sortir en anglais - a lui aussi cédé aux sirènes du thriller. Déjà La Chaîne (voir la chronique ici) lui avait permis d'être adoubé par le New York Times. Avec Traqués, sorti chez Mazarine en 2022 et plus récemment en Livre de Poche, il creuse le sillon avec un roman situé en Australie - où l'auteur a vécu à partir de 2008. Une petite famille américaine bon teint : Tom, 44 ans, médecin de son état, sa deuxième épouse Heather, 24 ans et les enfants de Tom Olivia, 14 ans et Owen, 12 ans, profitent d'une obligation professionnelle de Tom pour s'offrir des vacances en Australie. Une famille recomposée, en quelque sorte. La mère des deux enfants est morte peu de temps auparavant, et Olivia et Owen n'ont pas vraiment accepté Heather... La petite famille décide d'aller explorer une île où la nature est particulièrement riche, mais dont l'accès n'est pas libre. Avec de l'argent, tout est possible... Les voilà partis à l'aventure. Pas celle qu'ils attendaient. L'île est habitée par une unique famille, celle des O'Neill. Et l'hospitalité n'est pas leur qualité première. Alors quand Tom a un accident de voiture et renverse une femme de la famille, l'enfer n'est pas loin... La famille est en grand danger, et on se retrouve vite au cœur d'un roman horrifique et efficace si l'on recherche ce genre d'émotions. Malheureusement, Adrian McKinty y perd son identité, si bien qu'on a le sentiment que ce roman aurait pu être écrit par quelqu'un d'autre. Certes, on a peur, le cœur palpite (éventuellement), mais l'auteur nous manque ! Car même s'il aborde ici, comme dans La Chaîne, une question qui lui est chère - celle du lien entre parents et enfants - il perd en subtilité et en nuances ce qu'il gagne (ou pas) en efficacité. Dans La Chaîne, le lecteur pouvait s'attacher à une héroïne en perdition, un personnage travaillé et émouvant. Là, malheureusement, l'émotion n'est pas au rendez-vous, et le caractère capillotracté de certaines situations peut même agacer. Adrian, reviens !


Cathi Unsworth, Season of the Witch - The Book of Goth, Nine Eight Books

Denise Mina, Conviction, traduit par Émilie Passerieux, Alibi

Adrian McKinty, Traqués, traduit par Pierre Reignier, Mazarine et Livre de Poche

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