C’est toujours un plaisir que de retrouver Christian Roux, d’autant qu’il se fait rare. Son dernier roman, Que la guerre est jolie (voir chronique ici ) remonte quand même à 2018. C’est que cet homme-là sait vivre : écrire, faire de la musique, du théâtre, et sans doute ne sait-on pas tout. Surtout, s’il est économe de ses romans, c’est sans doute aussi qu’il y est généreux en humanité et en émotion.
Fille de commence frontalement, sans ambages. Les mots sont ceux de Collard, un flic qui a clairement un sérieux problème avec les femmes et avec sa propre frustration. Pour l’heure, le voilà arrivé, en compagnie de son collègue Jabert, chez Sam, mécanicienne de son état, spécialisée dans les voitures anciennes et installée sur les hauteurs de Cassis. Un contrôle de routine, rien de plus, une bonne occasion de voir Sam et de s’offrir une bonne séance de fantasmes…
Car Sam, c’est un personnage, une femme déterminée, forte, qui ne s’en laisse pas conter. Et pourtant, l’arrivée d’un dénommé Franck qui la surprend alors qu’elle écoute le doux ronronnement du moteur d’une Aston Martin va lui faire perdre son sang-froid. C’est que Franck, c’est un revenant, quelqu’un surgi du passé que Sam voudrait bien mettre derrière elle. Sept ans qu’elle ne l’a pas vu, et il ne lui a pas manqué.
On s’en doute, Franck n’est pas en visite de courtoisie. Autrefois, il travaillait avec Antoine, le père de Sam, qu’elle n’a pas vu depuis belle lurette et dont elle espère bien s’être débarrassée. Vu qu’il a fait d’elle la jeune complice inconsciente de ses coups réussis et foireux. Une enfance et une adolescence pour le moins atypiques, jusqu’à la mort de Julie, la mère de Sam. Jusqu’à ce qu’à l’âge de 20 ans, Sam décide que c’en était terminé de cette vie-là. Mais Franck en a décidé autrement : avant de se faire serrer, il a confié à Antoine le butin de leur dernier coup. Et aujourd’hui, Antoine a perdu la mémoire : il vit dans une clinique privée et y dépense leur magot. Bien sûr, il a complètement oublié où il a caché l’or. Franck, lui, sait qu’il ne lui reste qu’un espoir : convaincre Sam de faire retrouver la mémoire à son père. Pas gagné.
Mais Franck a ses arguments et ses méthodes convaincantes.
Pour Sam, il va s’agir d’accomplir sa mission le plus vite possible et de
revenir aussitôt à son garage reprendre sa vie d’avant. C’est là que commence
un road trip peu commun : Antoine a sans doute perdu la mémoire, mais la
bête résiste. C’est à bord d’une Land Rover trafiquée que Sam a décidé de se mettre en route, au son
de Tom Waits, et qu’elle embarque son père. « Son premier boulot, dans
cette histoire, ce sera assistante médicale. Elle vient de le
comprendre. » Le road trip tourne bientôt à la virée dans le passé :
comment faire retrouver la mémoire à quelqu’un qui l’a perdu ? Direction
Grenoble, pour commencer, là où Sam a passé son enfance. Le trajet ne va pas
être de tout repos… Et ce n’est que le début.
Nous voilà embarqués sur la banquette arrière de ce couple
incongru. Une jeune femme qui ne connaît que trop son père et ses combines, et
qui se retrouve à devoir s’occuper d’un vieil homme malade et amnésique. Qui va
devoir revivre les années qu’elle a réussi à mettre derrière elle par la force
de sa volonté et de son caractère. Le récit avance vite, et se regarde
évoluer : Christian Roux a toujours le chic pour prendre du recul, pour
débusquer les lieux communs et les clichés du genre, et pour raconter en se
mettant dans la peau de son héroïne et en révélant les fêlures et les pièges de
la mémoire tout au long d'une histoire aussi singulière qu’émouvante. Il sait moduler son
écriture, n’hésitant pas à se lancer dans un long monologue sans ponctuation
lorsqu’il s’agit de faire entendre au lecteur, pour la première fois, la parole
d’un homme, sa confession plutôt, aussi bouleversante que révoltante, qu’il
livre à une Sam pétrifiée : « Sam laisse passer une vie de silence,
une vie à ravaler ses larmes (…). » La douleur, le deuil, celui qu’ils ont
en commun : La route est longue,
semée d’embûches, de trahisons et de violence, toujours au son de Tom Waits. On
cherche l’argent, que va-t-on trouver au bout du chemin ? Quand un auteur comme Christian Roux peint un superbe portrait de femme, ce serait dommage de s'en passer.
Christian Roux sera présent au Festival du Goéland Masqué, du 18 au 20 mai à Penmarc'h (29).
Christian Roux, Fille de, Rivages/Noir
Magnifique article qui va me permettre d'entrer dans l'univers d'un auteur encore inconnu pour moi. Merci !
RépondreSupprimerMerci Hedwige ! Bonne découverte.
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