Le roman commence par la découverte par une équipe de fouilles archéologiques de vestiges qui font vaciller les acquis : la paléontologue Adrienne Célarier vient de mettre au jour ce qu'elle appelle "sa grotte". "On la traite d'arriviste, mais elle s'en fout car c'est elle qui a le morceau de fromage entre les dents." Pas de doute, on est bien chez Hannelore Cayre.
Hannelore Cayre s'en donne à cœur joie : pour commencer, elle va donner à ses personnages une langue proche de la nôtre, ce qui va bien nous faciliter la tâche - nous ne sommes pas chez Jean-Jacques Annaud !-. Et même, une langue qui n'y va pas par quatre chemins. La vie des humains de l'époque n'est pas une partie de plaisir, celle des femmes en particulier. Pourtant, elles n'ont pas leur langue dans leur poche et parlent des hommes et de leurs comportements avec une lucidité étonnante...
Voire avec une sorte de mépris, comme si les garçons, quel que soit leur âge, n'étaient après tout que de grands enfants dépourvus d'intelligence, mais pas de force ni de violence. Face à cela, pas le choix : les femmes mentent pour échapper à la violence des hommes. Elles mentent aussi sur leurs propres capacités : dans ce monde-là, les femmes ne chassent pas. Cette tâche-là, elle est réservée à la gent masculine. Les femmes s'occupent des tâches subalternes et des enfants. Et si elles veulent davantage, gare à elles. Oli fait partie de celles qui en veulent davantage, justement. Oli est une chasseuse clandestine, la rebelle de la famille, celle qui s'insurge contre les injustices. Celle qui sera punie : "La ligne c'est l'homme, la femme c'est le cercle, c'est là l'Ordre du monde. Si tu te mets à chasser, toi qui es une fille, tu bouleverses cet ordre et tout se mettra à aller de travers à cause de toi", lui dit-on avant de lui couper ses premiers doigts...
La voilà l, découverte de la grotte Winiarczyk : de nombreuses traces de mains mutilées, des mains de femmes...
Oli a été punie. Deviendra-t-elle docile pour autant ? Qui connaît Hannelore Cayre sait que non. La suite de l'histoire de Oli ? Un long voyage, des personnages saisissants, d'étranges rencontres, des aventures et des périls. Oli, première héroïne féministe ? Dans une interview récente, Hannelore Cayre déclare qu'à l'origine, elle n'avait pas pour objectif d'écrire un livre féministe, mais que l'histoire même l'avait conduite, presque inévitablement, vers cette épopée féminine en forme de combat d'avant-garde. On n'est pas obligés de la croire tout à fait, néanmoins : Oli, c'est un peu son autrice, ses combats, ses révoltes, sa colère. Avec une énergie sans pareille, une gouaille inimitable, un sens de la survie unique, Hannelore Cayre nous offre avec ce roman un pamphlet sous forme de conte préhistorique féministe, et insuffle à son personnage et à son histoire une pulsion de vie et de révolte peu commune. Trente-cinq mille ans plus tard, cette pulsion reste salutaire.
Hannelore Cayre sera présente au Festival du Goéland Masqué, du 18 au 20 mai à Penmarc'h (29).
Hannelore Cayre, Les doigts coupés, Métailié Noir
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