13 mai 2024

Dominique Forma, "Voyoucratie" : entre Paris et banlieue, panique chez les voyous


Les éditions La Grange Batelière ont eu une bonne idée de plus : rééditer ce roman signé Dominique Forma et publié par Rivages en 2012. Sans doute parce que dans Voyoucratie, le romancier rassemble tout ce qu'on aime chez lui. Le style économe, direct, efficace, l'ironie vacharde, le sens du décor et celui de l'action. Le roman raconte le destin d'un caïd parisien, Francis Demado, à qui tout a réussi. Si bien qu'il songe à se mettre au vert pour profiter de son argent rudement gagné. Mais on ne se refait pas : Francis le Parisien, comme on l'appelle, exerce sur le milieu qui est le sien un pouvoir qui lui est indispensable. S'effacer, pour lui, c'est difficile... Il lui prend donc la furieuse envie de se ménager une place discrète malgré sa retraite, ne serait-ce que pour garder un semblant de pouvoir. Et pour cela, il va devoir organiser sa succession.


Nous sommes pas dans la mafia, les héritiers ne sont pas pléthore. Le seul auquel Francis pense, c'est naturellement son associé Buko."Francis n'avait rien à lui reprocher, sa conduite avait été exemplaire. Et alors? Il restait une chose, une seule à vérifier. Intangible, inaltérable, inflexible : la confiance." Voilà, Francis a trouvé son idée de génie. Il va imaginer un piège qu'il croît infaillible, répandre une rumeur fatale pour tester Buko. Las, l'idée est stupide car Francis n'est pas très brillant. Machiavel au petit pied, il va semer dans le milieu un bazar indescriptible, et perdre tout à fait la maîtrise de la situation. Pour un peu, on aurait pitié de lui...

Voyoucratie a un double visage : celui d'un roman noir qu'on lit vite et avec plaisir. Et puis celui d'un auteur doté d'un sens de l'observation peu commun, et d'un talent rare pour la description des hommes et des lieux. Ses personnages ne sont pas brillants : on n'est ni chez Melville ni chez Scorsese. Qu'il s'agisse de Francis le Parisien, de Buko ou des autres protagonistes de la catastrophe programmée concoctée par l'auteur, aucun ne fait rêver. Le mythe du gangster, très peu pour lui. Hâbleurs, trop crédules ou pas assez, dénués de tout esprit de stratégie, il ne faut pas attendre de coup d'éclat de la part de ces hommes-là. 

Dès la première page, Dominique Forma annonce d'ailleurs la couleur : "Un voyou ne se fait pas d'illusion, il ne se raconte pas d'autres histoires que celles qui le glorifient." Voilà, on y est : tout cela est affaire d'ego - et d'argent, bien sûr, et de peur, car chez ces gens-là, on ne dort pas bien. D'ailleurs, Dominique Forma a choisi pour l'exergue de son roman un couplet signé John Cale et extrait de sa chanson Fear is a Man's Best Friend : "La vie et la mort ne sont que des choses qu'on fait quand on s'ennuie. La peur est la meilleure amie de l'homme". 

Dans Voyoucratie, on navigue entre Paris et banlieue, plus précisément cette banlieue du nord de Paris - pas le 93, le 95 - qui au fil des années a fait disparaître les champs et les bois qui séparaient les communes pour les remplacer par des centres commerciaux et des échangeurs routiers. Ainsi, le morceau de bravoure du roman nous emmène dans la bonne ville de Franconville, Val d'Oise. Là, entre cimetière et bretelle d'autoroute, se dresse le Donjon, une boîte échangiste tendance SM. Là, entre église et supermarché, va se jouer l'épisode sanglant auquel cette histoire mène inexorablement. Les descriptions topographiques sont si précises qu'on s'y croirait, la scène est d'autant plus violente et  incongrue qu'elle a pour cadre une banlieue désespérément banale : "La ville somnolait. Chacun s'occupait de sa télé, dse son chien ou de sa femme en ce dimanche après-midi.

Du début jusqu'à la fin, entre scènes de dialogues savoureux, descriptions précises et actions littéralement cartographiées, le lecteur a la sensation de se trouver devant un film de gangsters pas comme les autres, où il n'y a ni vrais bons ni vrais méchants, un film à la fois moqueur et désenchanté. Et puis on relit l'avant-propos que François Guérif a écrite pour ce livre, et on est à peine surpris de lire: "La loi des armes (le titre du film réalisé par Dominique Forma, avec Jeff Bridges), c'est original pour le premier film d'un réalisateur français, est un film américain; et Voyoucratie est un démarquage du scénario en France et ça fonctionne très bien." CQFD.

Dominique Forma sera présent au Festival du Goéland Masqué à Penmarc'h (29) du 18 au 20 mai 2024.

Dominique Forma, Voyoucratie, La Grange Batelière

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