30 mai 2024

Valerio Varesi, "La Stratégie du lézard" : Parme, neige et chaos

Chaque année, la parution d'un nouveau
Valerio Varesi est un moment privilégié : certes, on éprouve un certain confort à retrouver Soneri, c'est le principe du personnage récurrent. Mais avec Valerio Varesi, la routine n'est pas de mise, et la découverte toujours au rendez-vous. La Stratégie du lézard ne fait pas exception à la règle : dès la première page du roman, on retrouve un Soneri agacé, voire rageur. Il fait froid, Parme est sous la neige et son maire Giancarlo Corbellini est parti faire du ski et, accessoirement, accompagner les jeunes de la paroisse de la Navetta. Quel dévouement de la part de l'édile élégant et séducteur, qu'on a plus l'habitude de voir dans les restaurants chics et les boîtes à la mode ! A moins que Soneri n'aie raison lorsqu'il le soupçonne d'avoir voulu échapper à la situation de chaos dans laquelle se trouve la municipalité de Parme, où tous les adjoints viennent d'être mis en examen pour corruption. La ville est en ébullition, les manifestations d'opposants se multiplient et tournent à l'émeute. Et pendant ce temps-là, M. le Maire fait du ski. Ou pas.

Les affaires ne s'arrêtent pas pour autant pour Soneri et son équipe : à commencer par le décès d'un vieil homme dans une clinique, mort de froid, bloqué sur un escalier extérieur supposé sécurisé. A suivre : l'agression sauvage d'un prêtre, qui justement avait accompagné le groupe de jeunes à la montagne et qui venait de rentrer chez lui, une histoire de téléphone sonnant dans le vide sous les fenêtres d'une amie d'Angela, une bagarre entre croque-morts concurrents autour du cercueil du vieillard mort de froid... Tout cela n'a ni queue ni tête, et pourtant, Soneri sent que tout est lié. Reste à trouver le lien, autant dire trouver une aiguille dans une botte de foin. Pour commencer, Soneri va proposer à Angela un week-end à la montagne. Pas n'importe où : à Andalo, au pied de la montagne Paganella, là où le maire est parti s'oxygéner en compagnie des jeunes de la ville. Non sans avoir fait une halte indispensable au Milord, où Alceste leur a servi des tortellini aux blettes et à la ricotta.

A l'hôtel Holiday d'Andalo, l'ambiance n'est pas à la fête. Il n'y a pas grand-monde, et aucune trace du maire qui est supposé y séjourner. En revanche, le restaurant est ouvert et il est l'heure de déjeuner : canederli au fromage et chevreuil rôti au menu. Angela n'est pas ravie : "Tu vas commencer ton enquête, et moi, je vais me retrouver à discuter avec des chiens de traîneau." La fin de la journée arrive, et Corbellini n'est toujours pas rentré. Le couple s'attable devant des casunziei et une bouteille de merlot, servis par une serveuse en costume du Trentin. Ca commence à ressembler à un week-end en amoureux, cette affaire... Corbellini a dit à ses collaborateurs qu'il devait rentrer à Parme pour une urgence. Or, à Parme, Juvara, l'adjoint de Soneri, fait le guet devant le domicile du maire. Et ce dernier n'a pas réapparu. En vérité, Corbellini a disparu. Évaporé, évanoui dans la nature... Ce qui ne fait que confirmer l'intuition de Soneri.

Le voilà embarqué dans une quête particulièrement ardue, et potentiellement dangereuse. A Parme, dès qu'on s'intéresse d'un peu trop près aux relations entre politique et banditisme, la mort n'est pas bien loin. Sur son chemin, Soneri va rencontrer un chien qui, une fois n'est pas coutume, va inverser les rôles puisque c'est lui qui va conduire l'enquêteur sur la piste d'un trafic de drogue particulièrement tordu. Il va aussi nouer une étrange relation avec un peintre faussaire qui demeure près de l'appartement de l'amie d'Angela, et qui entretient des liens étroits avec un des pires gangsters-hommes d'affaires de Parme, le redoutable Ugolini. Ces trois-là vont passer ensemble des moments surréalistes, Soneri le révolté épris de justice, Valmarini l'artiste corrompu, Ugolini l'homme d'affaires véreux : tout ce petit monde philosophe à coups de sophismes, d'arguments spécieux et de cynisme sur la marche du monde. On s'en doute, Soneri ne va pas se laisser séduire par les rodomontades d'Ugolini, mais on sent bien qu'il prend un certain plaisir à ces discussions nocturnes. Peut-être y trouvera-t-il l'inspiration pour résoudre les affaires qui l'obsèdent, qui sait ? En tout cas, pour le lecteur, ces soirées improbables sont la source d'une sorte de délectation : Soneri nous a habitués à ses révoltes et à ses colères, à ses débordements aussi soudains que désespérés, pas vraiment à ces longs échanges verbaux, et encore moins face à un gangster de la pire espèce et à un artiste qui a vendu son talent au plus offrant. 

On retrouve avec un plaisir teinté de nostalgie les déambulations de Soneri dans la ville glacée, sa peine et sa colère face à la résignation complice des Parmesans face à la situation de leur ville, on constate avec bienveillance la solidité et l'intelligence de la relation qu'il entretient avec Angela, on goûte avec lui les rencontres qui vont le conduire à la vérité, on frémit avec lui à l'idée que tous ces efforts seront peut-être vains, mais qu'ils sont tellement nécessaires qu'ils sont sans doute salvateurs, quelle qu'en soit l'issue. Face à Parme et à ses habitants, Soneri fait de plus en plus figure de Don Quichotte : ce dernier n'est-il pas d'ailleurs le premier héros romanesque ? Entre Simenon et Cervantès, Valerio Varesi construit son œuvre, roman après roman, confrontant son héros à ses ennemis et à ses propres démons. Impressionnant. 

Valerio Varesi, La Stratégie du lézard, traduit par Florence Rigollet, Agullo éditions

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