Ken Bruen a encore frappé. Je veux dire par là qu'il m'a fait passer une nuit blanche avec son dernier roman paru en France, Calibre.
Comment dire ? J'ai eu comme une longue hallucination en lisant ce roman. J'ai vu, littéralement vu, l'écrivain comme un peintre devant sa toile. J'ai vu, allez, Zao Wou Ki ou Shi Tao concentré devant son œuvre, peaufinant mentalement le prochain geste, rassemblant en lui toutes les énergies nécessaires, toutes les nuances émotionnelles, avant de jeter sur la toile ou le papier, d'un geste sûr, rapide voire violent, la touche, le trait non pas parfait mais exactement celui qu'il faut, là où il faut, avec l'épaisseur, les pleins et les déliés, l'envolée à la fin, jusqu'à la mystérieuse disparition de l'encre ou de la peinture... Alors, Ken Bruen en peintre chinois ? Non, mais Ken Bruen en styliste hors pair, c'est sûr. Ne partez pas encore, je retrouve mes esprits... Je vais vous en raconter un bout quand même, de ce Calibre.
Le roman est court (220 pages) et dense. L'affaire se passe à Londres, où un assassin pas ordinaire a décidé de s'en prendre aux méchants, aux grossiers personnages, aux brutes épaisses, et de les faire passer bien tranquillement de vie à trépas. Drôle, il y a quelques heures, j'ai entendu les résultats d'un sondage récent : la principale source de stress de nos contemporains, ce serait justement l'agressivité, les incivilités pour parler comme nos hommes politiques... Ken Bruen est dans le ton ! Notre assassin est un militant, et ne manque pas de panache : il s'empresse de tenir au courant la police du sud de Londres, où il exerce ses talents, en signant ses missives du nom de FORD. Deuxième paragraphe du premier chapitre : "J'ai tué pour la première fois mardi dernier. Je n'arrive pas à croire que ça ait été aussi facile. Des remords ? Pas la queue d'un. Je regrette seulement de ne pas avoir commencé plus tôt." Le problème avec Ken Bruen, c'est que dès qu'on a commencé le petit jeu des citations, on n'a pas envie d'arrêter d'une part, et puis on se dit : "A quoi bon continuer d'écrire ce billet ?" Ma seule motivation pour continuer à taper, c'est d'essayer de vous convaincre de lire Bruen...
Fil rouge de l'histoire, le roman de Jim Thompson, Le démon dans ma peau, véritable bible pour l'assassin. Dans ce roman, on se retrouve dans la peau d'un meurtrier aux apparences de père tranquille, Lou Ford, et c'est prétexte à une description au vitriol du Texas dans les années 50. Celui qui signe Ford dans Calibre est un comptable de la City plutôt futé, puisqu'il a ouvert son propre cabinet et qu'il prospère sur les ailes de la crise financière... Fan de romans policiers, il a chez lui une petite collection, avec une prédilection pour le vrai "hard boiled" (Cain, Hammett et Chandler, le trio infernal : notre homme a du goût). Pour compléter sa culture et peaufiner ses crimes, l'homme regarde Les Experts (personne n'est parfait) et croit tout savoir sur l'ADN, les fibres, les signatures... Il s'est également documenté sur les divers psychopathes qui ont fait les beaux jours des faits divers. Bref, il se sent pour ainsi dire à l'abri de tout et n'a qu'une idée en tête : mener à bien sa mission, débarrasser Londres d'un maximum de butors, de salauds et d'ordures de tout âge, de tout sexe et de toute race.
Que fait la police ? Eh bien, elle essaie, elle essaie. C'est un modeste commissariat du sud-est de Londres qui est en charge de l'affaire. Aux premières loges, le sergent Brant, une espèce de brute corrompue et bronzée en costume italien, indéboulonnable malgré les efforts de son supérieur, le superintendant Brown. Ce Brant n'est pas totalement irrécupérable, puisqu'il rêve de devenir le roi du roman policier. Il s'est même acheté le manuel du parfait auteur, c'est dire ! Au suivant ! Le suivant est une suivante, elle s'appelle Falls, c'est une superbe black qui a bien failli sauter après avoir fait beaucoup de bêtises, et qui pour l'heure est au placard, et s'y sent à l'étroit en compagnie d'un certain McDonald qu'elle déteste cordialement. L'inspecteur Porter Nash, brillant élément qui dirige l'enquête, est gay et diabétique, et il est respecté par tous, même Brant, homophobe notoire.
Non, je ne vous raconterai pas l'enquête, et surtout je ne vous dirai pas comment ça se termine. Vous saurez juste que ce roman est un pur régal, émaillé comme à l'habitude de généreux conseils de lecture (si vous ne vous jetez pas sur Jim Thompson en refermant ce livre, je mange mon chapeau. D'ailleurs Ken Bruen l'écrit lui-même en capitales : LISEZ CE FOUTU ROMAN), de musique (ça commence avec les Boomtown Rats et "I don't like Mondays", ça se poursuit avec les Stones, bref on reste en excellente compagnie. Des chapitres courts, des phrases ciselées, un humour ravageur, une lucidité cruelle sur le monde qui nous entoure, un véritable jeu permanent avec le lecteur: Calibre, c'est simple, est un livre jouissif. Maintenant, à vous de voir...
Calibre, de Ken Bruen, Gallimard Série noire, traduit de l'anglais par Daniel Lemoine
J'ai découvert Ken Bruen il y a peu de temps et je suis tombée raide dingue de son écriture. J'ai dévoré Delirium tremens et Toxic blues et acheté les 3 suivants dans la série des Jack Taylor.
RépondreSupprimerCalibre me changera d'endroit et de personnages tout en gardant l’implacable justesse des mots sans pitié de cet excellent écrivain.
Personnellement j'ai découvert Ken Bruen à travers "Calibre" et je suis également devenu raide accro de son style si tranchant. J'ai également suivi la série des Jack Taylor mais à mon goût rien n'égale les R&B, ils sont curieusement attachants et la peur d'arriver à la fin de la collection me saisi déjà !
RépondreSupprimerA posséder absolument !