24 juin 2012

Avec "Le Chanteur", Cathi Unsworth défie la nostalgie et remet quelques pendules à l'heure

Autant le dire d'emblée, cela faisait un moment que je n'avais pas lu un roman aussi stimulant.Impossible à lâcher, Le chanteur est un vrai polar, avec une vraie intrigue et de vrais personnages. Pourquoi le préciser ? Parce que certains romans dits "rock" se contentent d'aligner des clichés et des citations sans trop se soucier du romanesque... Eh non, l'ambiance ne suffit pas...
Chez certains ados, le punk constitue une sorte de panthéon mythologique, assorti des poncifs et des illusions qui vont avec. Cathi Unsworth connaît bien la question: journaliste rock dès l'âge de 19 ans, son roman sent le vécu. Et si l'ambiance dans laquelle il est situé est bien définie dans le temps, les questions qu'il pose sur ce qu'il advient de l'idéalisme quand il est confronté à la réalité des médias, du milieu du rock et des fans sont toujours d'actualité.
Le roman alterne les chapitres situés entre 1977 et 1981 et ceux qui se déroulent en 2001-2002.
Dans les premiers, on assiste à la naissance d'un groupe de punk rock dans la sinistre et sinistrée ville de Hull, au nord-est de l'Angleterre. Ravagée par les bombardements de la Seconde guerre mondiale, ruinée par le déclin de l'industrie, et en particulier de celle de la pêche et des docks, qui nourrissait bon nombre de ses habitants, Hull incarne pleinement, à la fin des années 70, la ville dont on a qu'une envie: en partir. Un avis que partagent largement Steve, Kevin et Lynton, tous trois collégiens à Hull et désespérant de se sortir d'un monde en pleine décrépitude. Seule échappatoire: la musique. Steve joue de la guitare et adule les Sex Pistols, Kevin de la batterie et Lynton le jeune black rêve de devenir le nouveau Miles Davis. A l'époque, être noir à Hull n'était pas une sinécure... C'est ce qui rapprochera Lynton de Steve, qui le défend lors d'une agression raciste. Bientôt, Lynton se met à la basse. Ca y est, le groupe est formé. Sauf qu'il manque un chanteur. Ce sera Vince Smith, l'ange noir du roman. Le nom du groupe : Blood Truth. A Londres, pendant ce temps-là, la jeune Américaine Sylvana forme avec deux autres musiciens un groupe d'un tout autre genre, Mood Violet, qui fait une musique éthérée basée sur les visions colorées de leur diaphane chanteuse. Bientôt, l'ange et le démon vont se rencontrer, et ça va très mal se terminer... Mort de Sylvana - overdose ou suicide ? -, disparition corps et biens de Vince.

Dans les chapitres estampillés 2001-2002, Eddie Bracknell, trente ans à peine, vivote dans l'appartement londonien du quartier de Camden qu'il partage avec son amie Louise, écrivant des piges pour plusieurs publications liées à la musique, peu satisfait de son sort. Visiblement, il lui manque un objectif, à notre Eddie, et il passe ses journées avec le photographe Gavin Granger, qui n'a rien à lui envier en matière d'addiction à la bière. Gavin, vedette à la grande époque du punk. Eddie l'avoue : "J'avais emporté avec moi une pile de vieux numéros de NME qui portaient l'estampille de Granger. Curieusement, ils me donnaient la nostalgie d'un temps que j'étais trop jeune pour me rappeler."

Comment ces deux époques vont-elles se rejoindre ? C'est Vince Smith, le très vénéneux chanteur de Blood Truth, qui va servir de lien lorsque Eddie et Gavin décident de mener l'enquête sur ce qui s'est réellement passé. Il faut dire qu'à Londres, les années punk sont redevenues à la mode, l'ambiance musicale étant on ne peut plus morose. Comme le dit Cathi Unsworth dans une interview à la revue Alibi : "Aujourd’hui (...) les faiseurs de pop stars alignent des produits manufacturés comme Coldplay. Je déteste ces petits bourges pleurnichards et grotesques sans aucune authenticité. Et il y en a trop comme eux !" Et pan ! Cathi Unsworth ne mâche pas ses mots, en revanche elle tricote remarquablement bien ses intrigues, donne vie à des personnages inoubliables et sait reconstituer de façon explosive une époque difficile mais formidablement créative. Cerise sur le gâteau : la play-list située en fin d'ouvrage qui devrait vous aider à créer l'ambiance...

A noter : Cathi Unsworth a également coordonné le recueil de nouvelles Londres noir publié par Asphalte en 2010.

Cathi Unsworth, Le chanteur, traduit de l'anglais par Karine Lalechère, Rivages/Noir

2 commentaires:

  1. Bonjour Velda !
    J'ai adoré ce polar !
    Lire aussi "Dance with the Devil" de Stanley Booth, un remarquable témoignage sur les débuts du rock, le vrai, avant qu'il devienne bling-bling et les polars de la série des Mona Cabriole chez La Tengo Éd. (collection Polar and Rock'n'Roll).
    Bonnes lectures...TC

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  2. Merci pour les suggestions. Je vais aller voir du côté de Stanley Booth. Les Mona Cabriole, j'ai testé, mais pas adopté ! Je vous conseille le roman de Paul Colize, Back Up, chroniqué ici il y a peu.

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