13 novembre 2012

Jérome Charyn, le polar et la littérature du chaos

Jérome Charyn est un vieil ami... Je veux dire par là que je l'ai découvert à la fin des années 70, en même temps que je me jetais sur Chandler, Hammett, Cain et Thompson, ses grands frères. Cet auteur new-yorkais a partagé sa carrière entre la littérature policière, les romans et les essais. Né en 1937, d'origine russo-polonaise, il a passé toute son enfance dans le Bronx. Il a vécu à Paris pendant plusieurs années, où il enseignait le cinéma à l'Université américaine. Découvert en France par Marcel Duhamel, les amateurs de polars le connaissent pour la série Isaac Sidel, dont la première partie, en forme de tétralogie, a été publiée dans les années 70.



Jerome Charyn parle du Bronx
On était arrivé au bout, on ne pouvait pas aller plus loin, franchir la ligne. Ou alors entrer dans l'eau, se tuer. On vivait dans un univers d'inadaptés. La violence était la clé de tout, il y avait des bagarres tous les matins. Un jour, j'ai poussé quelqu'un du haut d'un toit. Il aurait pu se tuer. Nous vivions avec des gens en échec total. Si j'ai survécu, c'est grâce à mon frère, qui était craint. Quelqu'un lui a mis un revolver sur la tempe. Il a saisi le canon, et l'autre ne pouvait plus tirer... Pas la peine de se battre avec lui, c'était l'échec assuré. Ce chaos est devenu un énorme avantage pour moi : il m'a permis de voir des choses que les autres gamins ne voyaient pas.Je connais bien le chaos, je danse avec le chaos, je fais l'amour avec lui. Je savais que les mots allaient me permettre de survivre dans ce monde-là. La langue est comme une arme, elle griffe, IL faut trouver le rythme, l'écrivain doit trouver sa musique à lui, et une fois qu'il l'a trouvée, le langage surgit, il y a quelque chose qui te pousse, ta vie devient une série d'aventures pittoresques, et tu rebondis de catastrophe en catastrophe, en espérant qu'au bout du compte tu parviendras à te sortir de là...

 Le premier de la série, chronologiquement parlant, Marylin la Dingue, est sorti pour la première fois en France en 1974. Bien qu'il relate des faits antérieurs aux trois suivants, il est sorti après. On y fait la connaissance du commissaire Isaac Sidel, New yorkais pur jus et star de la police. Le roman est un véritable carrefour de personnages, le principal après Isaac étant sa fille Marylin, une nana pas comme les autres, fidèle à son infidélité, et qui réussit à se mettre dans des situations inextricables, au grand dam de son père. Cette fois, elle pousse le bouchon un peu loin... Pendant ce temps-là, Isaac enquête sur une bande de gamins qui sèment la terreur à New York, et tombe sur la famille Guzmann, une bande d'affreux proprement infréquentables. Ce sera pour lui l'occasion de nous emmener avec lui dans des milieux étonnants et pas  clairs du tout, de nous présenter une galerie de personnages absolument hallucinante, et de nous balader avec lui dans New York, son New York. Car c'est là la grande force de Charyn: il est capable de reconstituer l'ambiance de New York sans se lancer dans de longues descriptions. Avec Jerome Charyn, même si on n'a jamais mis les pieds dans le Bronx, eh bien tout à coup, ça y est, on est en plein dedans. Les odeurs, les sons, les accents, les cris, le danger, la beauté, tout est là, entre nos mains, entre les pages du livre.
Dans le suivant, Zyeux bleus, cet ours de Sidel est un peu en retrait, puisque le personnage principal est Manfred Coen, son adjoint, dit zyeux bleus. Manfred est probablement encore plus branque qu'Isaac, mais il lui est dévoué corps et âme. Il ira loin, très loin, pour le tirer d'un pétrin dans lequel il s'est fourré. Un pétrin où la famille Guzmann joue un rôle capital. Là encore, les personnages arpentent les quartiers les plus improbables de New York, et Charyn, n'hésitant pas à recourir aux situations les plus invraisemblables, nous emballe littéralement dans sa folie, avec style et élégance.
Dans Kermesse à Manhattan, le personnage central est Patrick Silver, juif irlandais, ancien flic devenu concierge d'une synagogue, et, accessoirement, bonne d'enfant un peu particulière puisque l'enfant n'est plus tout jeune et qu'en plus il fait partie de... la famille Guzmann. Isaac, malgré qu'il soit bien mal en point, va devoir reprendre sa croisade contre les Guzmann... Charyn ne recule devant aucune extravagance, son écriture nous force littéralement à tourner la page, et nous allons de surprise en ahurissement...
Enfin, dans Isaac le mystérieux, retour dans les milieux irlandais avec une sombre histoire de prostitution et, en son centre, la belle Annie Powell, rousse et balafrée. Dans ce roman, Isaac quitte New York pour Dublin, où l'emmène son enquête.

Et voilà, 34 ans après, il y a quelques jours, paraissait le nouvel Isaac Sidel, Sous l’œil de Dieu, publié par le Mercure de France. Cette fois, l'ami Isaac est devenu ... vice-président, rien que ça ! On y reviendra en détail très bientôt.

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