La dernière fois que je vous ai parlé de Val McDermid, c'était sur le ton du dépit amoureux. Aujourd'hui, ce sera une déclaration, une vraie. Car avec Lignes de fuite, l'auteure écossaise a retrouvé toute sa fougue, son savoir faire et son côté fonceur. Lignes de fuite est un roman autonome, il ne s'inscrit dans aucune série. Polar, thriller, qu'importe : c'est un roman efficace, inspiré, avec un beau regard critique et empathique sur le monde qui nous entoure.
Tout commence par une scène plus terrible que n'importe quelle invention "gore". L'Anglaise Stéphanie Harker arrive à l'aéroport O'Hare de Chicago en compagnie de son fils adoptif, Jimmy, cinq ans. Ils sont en route pour des vacances en Californie. Les broches qui lui traversent la jambe suite à un accident de la route l'obligent à subir un contrôle de sécurité sévère. Et pendant qu'on l'inspecte, sous ses yeux, elle voit Jimmy s'éloigner en compagnie d'un homme en costume d'agent de l'aéroport, puis disparaître. C'est un enlèvement. L'homme n'est pas plus agent de l'aéroport que vous et moi. Stéphanie comprend tout de suite ce qui se passe, se débat, hurle... et est immédiatement arrêtée par les autorités. Le temps qu'elle parvienne à persuader la police de la réalité de l'enlèvement, elle croit devenir folle. De victime, elle est devenue accusée... Quand enfin on finit par la croire, plusieurs heures auront été perdues. L'homme et l'enfant se sont évaporés dans la nature.
Stéphanie est écrivain. Enfin, écrivain de l'ombre. Nègre, quoi. Elle rédige les mémoires de personnalités plus ou moins célèbres, politiciens, sportifs, stars du show business ou de la télé réalité. Justement, c'est ce domaine-là que Val McDermid a choisi de disséquer dans Lignes de fuite. Plusieurs années auparavant, Stephanie s'est attelée à un nouveau projet : écrire l'autobiographie de Scarlett Higgins, vedette scandaleuse de L'aquarium, un programme de téléréalité au nom explicite, basée sur le principe de l'élimination et filmée sur une île déserte au large des côtes d'Ecosse... Elle a un peu rechigné : après tout, on a son standing quand même ! Scarlett la pétasse, c'est ainsi que les tabloïds anglais ont surnommée la star éphémère. Finalement, Stephanie accepte, de mauvaise grâce : les temps sont difficiles, il y a pénurie de projets et il faut bien vivre... Mais les choses ne se passent pas exactement comme prévu.
Scarlett a tout de la pétasse, c'est sûr. Sauf qu'elle a oublié d'être bête. Sauf qu'elle a eu une enfance et une adolescence désolantes dans un milieu particulièrement dur, une famille désespérante, avec une mère et une soeur genre rapaces, bien contentes que la petite gagne de l'argent. Et qu'avec tout ça elle s'est construit une personnalité forte, offensive, sans limites. Bref, Stephanie tombe en amitié avec Scarlett. Au point de s'installer chez elle, dans son "hacienda" avec piscine du sud de l'Angleterre, à temps pratiquement complet, le temps de la rédaction. Au grand dam de son ami Pete Matthews, l'ingénieur du son qui passe son temps sur les routes mais qui aimerait bien, lorsque d'aventure il rentre à Londres, trouver Stephanie qui l'attend à la maison. Le repos du guerrier, quoi. Pas tout à fait le genre de Stephanie.
Voilà, le décor est planté. Et Val McDermid déploie tout son talent de conteuse pour nous offrir une histoire incroyable, riche en rebondissements et en retournements de situations. Elle n'a pas son pareil pour nous surprendre. On a beau s'y attendre, on a beau savoir qu'avec elle, on est à l'abri de l'ennui et des longueurs, on se laisse cueillir, ravis par un tel savoir-faire. Et bien sûr, comme nous ne sommes pas avec n'importe qui, elle en profite pour nous offrir un portrait assez salé du monde de l'édition d'aujourd'hui, avec ses agents éminences grises, ses combines, son avidité.
"Un nègre littéraire est un hypocrite professionnel. A force de corrections, nous transformons la personne en face de nous en celle qu'elle veut montrer au reste du monde. Nous sommes les chirurgiens esthétiques de l'image."
Et aussi une analyse au scalpel des mécanismes de la téléréalité, avec ses stars vite déchues, sa misère affective et intellectuelle, et les foules de fans prêts à tout pour approcher celui ou celle dont, dans 6 mois, on ne parlera plus. Au passage, elle en profite pour égratigner méchamment les relations homme - femme, encore bien archaïques dans une société qui se dit moderne, et pour décrire une belle amitié entre deux femmes que rien ne destinait à se rencontrer. Elle nous réserve aussi une de ces fins dont elle a le secret, et qui nous retourne sans ménagement. Hautement recommandable !
Val McDermid, Lignes de fuite, traduit de l'anglais par Perrine Chambon et Arnaud Baignot, Flammarion 2015
Bonjour,
RépondreSupprimerBonjour,
Pour les besoins de ma formation, j'ai un petit questionnaire à faire remplir autour du polar et des romans policiers. C'est très rapide et ça m'aiderait beaucoup! N'hésitez pas à le partager, si vous connaissez d'autres amateurs de polar. Bonne soirée, merci
Voici le lien du questionnaire :
https://lcheraud.typeform.com/to/Nh2jwf