Quand un nouvel auteur
fait irruption dans l’univers du roman policier, la curiosité est grande. Quand son premier roman paru en France (De
mort naturelle, voir la chronique ici) vous donne vraiment envie de lire les
autres, les questions se pressent… Si en
plus il est écossais, comment
voulez-vous résister ? James Oswald a bien voulu satisfaire ma curiosité.
Merci à lui !
Vous avez commencé votre
carrière d’écrivain dans le domaine de la fantasy. Pourquoi et comment
êtes-vous passé au roman policier ?
J’ai lu des BD pendant
toute mon enfance, et la première fois que j’ai été payé pour écrire, il
s’agissait d’un court script pour le magazine 2000 AD*.
La BD et la fantasy ont toujours fait partie de mes styles préférés, donc il
était naturel que j’y fasse mes débuts.
Au début des années 1990,
j’habitais Aberdeen. J’y ai rencontré Stuart MacBride. A l’époque, il essayait
de se faire un nom en tant qu’artiste et auteur de BD. Nous sommes restés très
amis, et n’avons jamais cessé, année
après année, de discuter de nos romans non publiés. Quand Stuart a réussi à
faire paraître le premier volume de sa série Logan McRae (Cold Granite, voir la chronique ici),
je travaillais à ma série fantasy, The Ballad of Sir Benfro. Il m’a conseillé
d’arrêter mes fariboles à dragons et de m’essayer au roman policier.
A l’époque, je n’avais
pas lu grand-chose dans ce domaine-là. Mon père était fan de Ian Rankin, j’ai
donc commencé par lire quelques Rebus. Adolescent, j’avais eu ma période Agatha
Christie, bien sûr. Et naturellement, Stuart m’avait fait lire les manuscrits
de ses deux premiers Logan McRae. J’ai exhumé un personnage que j’avais créé à
l’origine pour un script de BD – Tony McLean – et j’ai commencé à travailler
pour voir ce que je pouvais en faire.
Vous êtes un auteur
écossais, mais aussi un agriculteur écossais. Pourquoi avoir situé votre
premier roman policier dans la ville d’Edimbourg plutôt qu’à la campagne ?
En fait je vis à une
heure au nord d’Edimbourg. Mon choix remonte aux origines du personnage de Tony
McLean, qui figurait dans un script de BD écrit quand je vivais à Aberdeen.
J’avais choisi Edimbourg parce que c’était une des rares villes que je
connaissais bien, et qu’elle se prêtait bien aux histoires de fantômes, ce dont
il était question dans mon script.
A vrai dire, je ne suis
pas passionné par les histoires policières rurales, pas dans le cadre d'une série en tout cas. Un roman d’atmosphère situé dans la lande balayée par les
vents, où les gens ruminent leurs rancœurs sur plusieurs générations, où tout
le monde a un cadavre dans le placard, c’est très bien pour une histoire
autonome, mais si on s’aventure à créer une deuxième énigme avec le même
contexte, ça devient vite invraisemblable.
Quels sont les auteurs
qui vous ont le plus influencé ? Vos influences ont-elles évolué avec les
années ?
Pour moi, c’est difficile
de nommer un auteur en particulier et d’affirmer : « Voilà, Untel m’a
influencé », ou bien « J’ai commencé à écrire après avoir lu
Untel. » J’ai toujours adoré raconter des histoires, inventer de nouveaux
univers, ou simplement donner du sens à celui dans lequel je vis. En termes de
technique d’écriture, j’ai beaucoup appris en écrivant des scripts de BD, et je citerais volontiers certains des
premiers auteurs de 2000 AD – John Wagner, Alan Grant, Pat Mills, Grant Morrison,
Garth Ennis, Pete Milligan, et bien d’autres – parmi mes influences. Lors d’une
interview, le journaliste a mentionné les noms de Neil Gaiman et Iain Banks,
disant qu’ils m’avaient certainement influencé davantage que bien des auteurs
traditionnels de romans policiers, et j’imagine qu’il avait probablement
raison. Un jour, j’aimerais arriver ne
serait-ce qu’à la moitié de leur niveau en tant qu’écrivain. Dans le domaine du polar, j’ai appris
beaucoup de Ian Rankin, R.D. Wingfield (le créateur du formidable inspecteur
Frost) et bien sûr de Stuart MacBride.
Pour un écrivain, il est
capital de lire beaucoup, et dans des domaines très variés, afin de maintenir
l’inspiration à flots. Je suis une personne très différente de celle que
j’étais quand j’ai écrit mon premier roman, il y a pratiquement 20 ans, ou de
celle que j’étais quand j’ai écrit mon premier script, il y a plus longtemps
encore. Je pense que j’ai été influencé, bon an mal an, par presque tous les
auteurs que j’ai lus.
Dans quelle mesure votre
vie d’agriculteur influence-t-elle votre écriture, en termes d’inspiration… et
d’organisation ?
J’ai repris
l’exploitation à la mort de mes parents, et j’ai pu m’offrir le luxe de mettre
en place une organisation qui me laissait du temps pour écrire. J’élève du
bétail des Highlands et des moutons Romney de Nouvelle Zélande. Ce sont des
bêtes solides et autonomes, qui n’exigent pas une attention permanente. Ceci
dit, j’ai tendance à écrire mieux le soir, ce qui me laisse la journée pour le
travail à la ferme. Je ne regarde plus trop la télévision, et je n’ai de toute
façon pas assez de temps pour lire autant que je voudrais.
Quant à l’inspiration,
elle arrive aux moments les plus inattendus. J’ai toujours un carnet et un
crayon à portée de main. Mon téléphone me sert aussi pour enregistrer des idées
pendant que je conduis le tracteur ou quand j’arpente les collines pour
surveiller les bêtes.
Comment la nature
influence-t-elle votre écriture ?
En fait je ne suis pas
sûr qu’elle m’influence, sauf en termes de passage des saisons. En ville, la nature se résume au rusé renard
des villes, ou au rat qui grignote les doigts d’un cadavre au détour d’une
allée sombre. Pour dire la vérité, mon écriture est tout sauf naturelle en ce
qu’elle cartographie les profondeurs de la dépravation humaine, toutes ces
choses contre nature que les humains sont capables de faire pour s’approprier
du pouvoir ou du plaisir.
Comment l’Écosse
influence-t-elle votre écriture ?
Comment l’air
influence-t-il votre respiration ?
Ma famille est écossaise,
mais je suis né en Angleterre. J’ai été élevé en Angleterre et en Écosse. J’ai
vécu à Aberdeen et Edimbourg, et j’ai aussi passé plus de dix ans au Pays de
Galles, où j’ai travaillé sur une exploitation expérimentale, au beau milieu de
nulle part. Mais Tony McLean a toujours vécu à Edimbourg, et je connais cette
ville depuis suffisamment longtemps pour l’y intégrer de façon plausible, sinon
toujours précise à 100%.
Il existe un tempérament
écossais, ou plutôt plusieurs tempéraments écossais distincts, que j’essaie
d’insuffler à mes personnages, et je crois que c’est cette attitude – cette
façon particulière de penser et d’agir – qui donne au roman policier écossais
son parfum bien particulier.
Comment décririez-vous la
spécificité du roman policier écossais par rapport au roman policier anglais,
par exemple ?
J’aurais du mal à
répondre à cette question, n’étant pas un spécialiste du roman policier
anglais. Mais comme je vous le disais, je pense qu’il existe un certain nombre
de façons de voir le monde qui sont spécifiquement écossaises, et le roman
policier qui est écrit en Écosse, ou qui a l’Écosse comme décor, a tendance a
refléter cet état de fait. Pour moi, l’écriture c’est avant tout les
personnages, puis l’intrigue. Donc si les personnages résonnent de leur nature
écossaise, l’histoire sera elle aussi typiquement écossaise.
Comment conciliez-vous
votre vie d’agriculteur avec votre vie d’écrivain ?
Mal.
Plus sérieusement, je
trouve que les deux activités fonctionnent assez bien ensemble. En dehors des
paperasseries administratives, l’agriculture n’est pas très exigeante en termes
de réflexion et de concentration, ce qui veut dire que je peux laisse libre
cours à mes pensées quand je travaille dans les champs. Je m'occupe de la ferme
le jour, j’écris le soir. Ce qui est le plus difficile à caser, c’est la
promotion, les conférences dans les bibliothèques et les librairies, les
festivals de littérature, etc. Tout ce qui m’éloigne de l’exploitation signifie
qu’il faut que je trouve quelqu’un pour veiller au grain pendant mon absence.
Penguin a publié mon
premier roman dans la série des Tony McLean début mai 2013, c’est-à-dire à la
fin de la saison de l’agnellage. Ce qui n’est pas une bonne période pour un
éleveur, comme je leur ai expliqué après avoir été interviewé en direct par BBC
Scotland le jour du lancement, alors que je n’avais pas dû avoir plus de deux
heures de sommeil par nuit pendant un mois. Maintenant, mes livres sortent
plutôt en février et en juin, des périodes plutôt calmes dans mon activité
d’éleveur.
Comment avez-vous décidé
que votre premier roman policier relèverait de la forme traditionnelle, avec
des flics, une enquête, etc. ?
Probablement parce que le
peu de polars que j’avais lus avant de me lancer appartenaient à cette
catégorie – Rebus, Frost, McRae. Lors de sa première apparition, Tony McLean
n’était qu’un personnage très secondaire dans une histoire de fantômes du type
bien contre mal, mais il a toujours été policier. Je l’ai utilisé dans deux
romans de fantasy urbaine qui ne sortiront jamais – à chaque fois que j’avais
besoin d’un policier, McLean était mon choix par défaut. Donc quand j’ai décidé
d’écrire mon premier polar, l’environnement policier m’a paru naturel. Mais
bien sûr il fallait que j’y mette un élément de surnaturel, parce que sinon ça
n’aurait pas été moi !
Quand vous avez créé
votre personnage, aviez-vous un modèle à l’esprit ?
A sa première apparition
dans un script de BD, il était plus âgé, plus cynique. Sa caractéristique
principale était qu’il était capable de voir les fantômes et les démons qui se
cachaient derrière une série de crimes étranges perpétrés dans sa ville.
Pourtant, il ne voulait pas croire ce qu’il voyait, vu qu’il avait été élevé
dans une famille strictement rationnelle par une grand-mère qui n’avait pas de
temps à perdre avec ces bêtises occultes.
Il n’est pas basé sur une personne que je connais, mais parfois je me
pose la question : « comment Untel réagirait-il dans une telle situation ? »
au moment où je dois décrire une de ses réactions. Et le « Untel »
n’est pas toujours la même personne.
Pourquoi l’un de vos
personnages s’appelle-t-il Stuart MacBride ?
Ça a commencé comme une
plaisanterie, quand Stuart m’a suggéré d’arrêter mes histoires de dragons et de
m’intéresser au polar. J’ai commencé par écrire une demi-douzaine de nouvelles
pour me faire la main, et mieux connaître mon personnage et son environnement.
Au tout début, j’ai intégré ce personnage du malheureux Détective MacBride,
c’était un clin d’œil amical, jamais je n’aurais imaginé que ces histoires
auraient une suite.
Et puis il est resté dans
les romans quand j’ai publié les deux premiers, et je n’ai même pas pensé à
demander à Stuart si ça le dérangeait, car j’étais sûr que personne ne les
achèterait. Et puis ça a commencé à
marcher très fort, j’ai signé un contrat avec Penguin, et c’est là – un peu
tard – que j’ai pensé à demander à Stuart si ça lui posait un problème. Il m’a
répondu que ça ne le dérangeait pas, mais que j’avais peut-être intérêt à
changer le nom car sinon j’allais passer ma vie à répondre à ce type de
question. J’ai bien failli le faire – le personnage a failli s’appeler
Buchanan, le deuxième prénom de Stuart, ce qui me permettait de conserver
l’hommage – mais je me suis dit qu’avec 350 000 e-books dans la nature
avec ce personnage appelé Stuart MacBride, si je modifiais le nom ce serait
encore pire…
En réalité, on me pose
assez peu la question ! En revanche, c’est à Stuart qu’on demande s’il sait
qu’il figure dans mes livres !
L’inspecteur McLean et
l’inspecteur chef Duguid sont ennemis. Jouez-vous sur le schéma traditionnel
« bon flic / méchant flic » ou bien s’agit-il d’une approche
personnelle du bien contre le mal ?
Pour moi, la relation
entre McLean et Duguid reflète plutôt les conflits inévitables qui surgissent
quand on met en présence deux personnalités très différentes, dans un contexte
où la pression est forte. J’ai occupé beaucoup de postes où j’ai été dirigé par
des gens qui, très clairement, avaient été promus bien au-delà de leur niveau
de compétence. Au départ, Duguid était
le symbole de cet état de fait – un type qui se bat pour être à la hauteur,
sait qu’il se bat, et balance des coups à ceux dont il pense qu’ils semblent
plus compétents que lui. Duguid n’est pas un mauvais type ; en fait, comme
détective, il est plutôt bon quand on le laisse faire. Mais on l’a promu à un
poste de management, et il déteste McLean pour la liberté qu’il a encore de
descendre sur le terrain et de résoudre des crimes.
C’est toute la beauté des
séries : on a le temps d’explorer les personnages récurrents, leurs
relations, de façon beaucoup plus approfondie que dans un roman autonome.
L’histoire entre Duguid et McLean remonte bien avant le début de De mort
naturelle, comme on le verra dans le sixième volume, qui s’appelle The Damage Done.
Dans De mort naturelle,
il y a bien sûr un soupçon de surnaturel. Est-ce une référence à vos romans de
fantasy, ou un élément de mystère complémentaire pour l’intrigue ?
Ça remonte aux premières
apparitions de Tony McLean dans ce script de BD, mon histoire de fantômes. En
BD, ça ne dérange personne de voir des démons s’en donner à cœur joie, des loups
garous qui rôdent, des vampires qui font ce que bon leur semble ! Dans le
roman policier, c’est autre chose, et les lecteurs se sentent floués, à juste
titre, s’ils ont lu 100 000 mots d’enquête pour découvrir qu’au bout du
compte, le coupable est un fantôme ! Je m’efforce donc que dans mes
histoires, le mystère principal ne soit pas résolu par une réponse surnaturelle,
mais j’aime bien l’idée des forces irrationnelles en action, et la façon
dont la police – ou un enquêteur – s’en sort dans un monde majoritairement
rationnel.
Ces aspects surnaturels
sont-ils un moyen d’échapper au cadre trop traditionnel du roman policier
classique, procédural ?
Oui, à bien des égards,
même si je n’ai jamais délibérément voulu écrire des romans de procédure. Bien
sûr, il y a de la procédure dans mes livres, mais je m’intéresse beaucoup plus
à l’interaction entre les personnages, à leur réaction face au drame qui se
déroule. Cela me passionne davantage que de construire une énigme et de faire
en sorte que mon héros la résolve.
Comment réagissez-vous
quand on vous décrit comme le “nouveau Ian Rankin?”
Je suis aux anges. Ian
Rankin est un grand auteur dont j’apprécie le travail depuis longtemps. Lui
être comparé est pour moi un immense compliment. Mais je pense que nous sommes
très différents, nous écrivons des choses très différentes avec une
similitude : nos protagonistes sont des flics qui travaillent dans
l’Edimbourg d’aujourd’hui. En tout cas, c’était très gentil de la part du Daily
Record ! D’ailleurs, j’imagine que
s’ils se rencontraient, Rebus et McLean ne s’apprécieraient pas. Ils viennent
de contextes différents. D’un autre côté, McLean a accès à un excellent whisky
et a toujours été partageur, alors…
Quelles leçons tirez-vous
de votre expérience très réussie de l’auto-édition ?
Aujourd’hui, mon succès
dans l’auto-édition me stupéfie. Je me suis lancé parce que comme je venais de
reprendre l’exploitation, je n’avais plus le temps d’écrire un nouveau roman. A
bien des égards, c’était mon dernier coup de dés… Après vingt ans sans éditeur,
je n’avais plus beaucoup d’espoir. Mon but initial, c’était de vendre un total
de 1000 livres la première année.
J’avais déjà écrit les
deux premiers volumes de la série McLean
(De mort naturelle et The Book of Souls) et tous deux avaient fait
partie de la sélection pour le prix de la Crime Writers Association, dans la
catégorie des auteurs non publiés. Ce qui laissait à penser qu’ils avaient un
certain niveau, mais tous les éditeurs qui les avaient lus les avaient refusés
au motif de la présence d’éléments surnaturels. On m’a dit et répété que les
lecteurs de polars détestaient ça.
Je pense que j’ai eu la
chance d’avoir deux livres d’une série, déjà prêts, à l’époque où le Kindle
commençait à décoller en Angleterre. Ma seule stratégie marketing a été de
proposer le premier volume gratuitement pendant une période limitée, en
espérant que les gens le liraient et l’aimeraient assez pour dépenser un peu
d’argent sur le suivant.
Cette “stratégie” a été
particulièrement payante, mais elle n’a fonctionné que parce que j’avais déjà un
deuxième livre prêt. Je n’en reviens toujours pas quand je vois le nombre de
personnes qui me demandent mon avis sur la gratuité. Quand je leur demande si
elles ont terminé le deuxième livre de leur série, elles me répondent qu’elles ne l’ont
même pas commencé. C’est absolument inutile de donner le fruit de votre dur
labeur si vous n’avez pas dans votre manche quelque chose de tout prêt à être
vendu. Enfin si votre ambition est de gagner de l’argent avec vos écrits, bien
sûr.
Peut-être la seule autre
leçon, c’est que l’auto-édition, c’est de l’édition qu’on fait soi-même ! Dans
cette perspective, il faut toujours se demander ce que ferait un éditeur
professionnel – s’agissant du visuel de
couverture, de la mise en page, de la relecture, du marketing; En tant
qu’auteur auto-édité, vous n’avez pas de budget, bien sûr. Mais si votre
couverture a l’air d’avoir été dessinée par un enfant de 6 ans, et si le texte
est mal fichu, avec des coquilles, des fautes d’orthographe à chaque page, vous
pouvez être sûr que le lecteur n’attendra pas grand-chose de l’histoire que
vous racontez.
* Célèbre hebdomadaire de BD anglais très orienté Science-Fiction
* Célèbre hebdomadaire de BD anglais très orienté Science-Fiction
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