25 octobre 2015

Southcliffe, mini-série anglaise fulgurante et inoubliable

Quatre fois 47 minutes, Southcliffe ne fait pas partie de ces séries qui vous vissent à votre télé des mois durant, qui font l'objet de discussions enfiévrées à la machine à café et dont on guette la prochaine saison en se rongeant les ongles. Écrite par Tony Grisoni, à qui on doit déjà la Red Riding Trilogy, série de trois téléfilms inspirés par l’œuvre de David Peace, Southcliffe se déroule dans une petite ville de bord de mer imaginaire, au Sud-Est de l'Angleterre. Si la mer n'est pas loin, l'aspect balnéaire des lieux ne crève pas les yeux : brume, vent, grisaille, pluie, marécages.  Southcliffe n'est pas une série policière traditionnelle puisque dès les premières minutes, on connaît le coupable de ce massacre épouvantable : dix morts, quinze blessés. 
Un petit matin de novembre, Stephen Morton (interprété par le formidable Sean Harris) abat sa vieille mère malade, qu'il soigne avec dévouement depuis des mois, tire sur sa voisine et continue sa virée meurtrière dans le village et ses environs. Les premiers plans se concentrent sur une brave dame en tablier, occupée à jardiner aux premières heures du jour. Quand retentissent les coups de feu, elle lève à peine la tête. Elle porte la main à son ventre puis s'écroule, incrédule.

  
La bande annonce de Southcliffe 
La structure narrative de la série fait partie intégrante de l'histoire : les flash-backs sont nombreux, arrivent sans crier gare, se retirent tout aussi brusquement, un peu comme ces vagues qui, en reculant, emportent avec elles une partie du rivage... Certaines courtes scènes se chevauchent, se retrouvent à deux moments différents de la fiction, montrant à quel point les faits, selon qu'ils sont vus d'un point de vue ou de l'autre, à un moment ou à un autre, sont insuffisants pour constituer la vérité. Southcliffe est une fiction ambitieuse : elle traite du réel et de sa perception, de la mort et de la relation qu'ont les vivants avec elle, du deuil, de la mémoire. C'est une série exigeante: l'absence de suspense traditionnel, la structure non linéaire, exigent une attention soutenue. Pas question d'aller chercher une bière dans le frigo, déconseillé d'appuyer sur "pause". La fascination s'installe, petit à petit, elle a raison de nos petites habitudes de spectateur, et là n'est pas la moindre qualité de Southcliffe, elle nous laisse finalement libres face à toute cette douleur, à une violence insoutenable.
Stephen Morton est une sorte de colosse barbu, solitaire, qui affirme avoir fait partie des SAS, les troupes d'élite britanniques. Nous sommes en 2011, Chris Cooper fait partie de ces jeunes soldats de retour d'Afghanistan, pour lesquels la vie après la guerre, c'est d'un ennui... mortel. Très vite, Morton le fascine, surtout quand il lui propose de l'entraîner. Mais très vite aussi, la fascination se transforme en peur. Morton a des méthodes un peu... extrêmes. Au fil des épisodes, on fait ainsi la connaissance des habitants de Southcliffe qui vont croiser la route de Stephen Morton. Du même coup se dévoilent sous nos yeux les mensonges, l'hypocrisie, la bien-pensance qui règnent sur Southcliffe. 
David Whitehead (incarné par Rory Kinnear) est journaliste à Londres. Il a vécu toute son enfance à Southcliffe, et n'en garde pas un bon souvenir. Bien sûr, en tant que régional de l'étape, c'est lui qu'on envoie sur place. Et cette mission-là va bouleverser sa vie. Son enfance a été empoisonnée par un événement tragique : son père a été accusé, à tort, d'être responsable d'un terrible accident industriel. Ses petits camarades l'appelaient "le fils de l'assassin." A son retour à Southcliffe, s'il n'est plus le fils de l'assassin, il est devenu celui qui va mettre à jour les sordides petits secrets de la communauté. Comment le journaliste à sensation va-t-il vivre cette lente mais violente déconstruction de sa personnalité, de sa vie et de sa mémoire? 
Entre ces deux héros que tout oppose se tisse une toile d'araignée dense, diffuse, faite de croisements dramatiques entre des vies fracassées. Southcliffe explore sans concession et sans voyeurisme les effets de la tuerie sur cette communauté fragile. Sans nous épargner quelques scènes chocs qu'on n'oublie pas facilement, cette série fait son chemin, jour après jour, dans la tête du spectateur. En matière de séries, un clou chasse l'autre. Southcliffe fait exception à la règle. Tragique, choquante, bouleversante, cette série-là, malgré - ou à cause de - sa brièveté, occupe désormais une place de choix à mon Panthéon personnel. Maintenant, c'est à vous de voir. 

Southcliffe, mini-série en 4 épisodes écrite par Tony Grisoni et réalisée par Sean Durkin, avec Sean Harris, Rory Kinnear - DVD aux éditions Montparnasse

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