14 août 2024

Adrian McKinty, Des promesses sous les balles : Sean Duffy sur le fil du rasoir


La dernière fois que je vous ai parlé d'Adrian McKinty, c'était il y a un peine un an, sur le mode dépité, après la lecture d'un thriller plus que moyen, Traqués, signé de notre irlandais préféré. L'article se concluait par un appel vibrant : "Adrian, reviens!" Eh bien voilà, mes vœux sont exaucés, McKinty est de retour et avec lui Sean Duffy, cette fois chez Fayard noir (?). Nous sommes en 1985, à Carrickfergus, non loin de Belfast. On se rappellera que dans le dernier épisode des enquêtes de Duffy, Ne me cherche pas demain (paru chez Actes sud / Actes noirs en 2021, voir la chronique ici), notre homme avait dû batailler pour retrouver sa place d'inspecteur dans la police d'Irlande du nord, et avait pris tous les risques pour mener à bien une enquête des plus tortueuses et des plus politiques. On le retrouve fidèle à ses habitudes : vérifier que sa BM n'est pas piégée, passer ses soirées entre alcool, coke, musique et solitude. 


Le roman débute sur une plage proche de Derry. Duffy est "invité" dans une opération destinée à débusquer le "Bateau de la mort", surnom du Our Lady of Knock qui vient de traverser l'Atlantique pour déverser en Irlande toute une cargaison d'armes... L'opération est co-organisée par rien moins que la RUC, la Gardai, le FBI, le MI5 et Interpol, et Duffy, fataliste, observe: "Je pressens que nous fonçons droit vers la cata... Et voilà : un homme en uniforme, un officier haut gradé, s'avance vers les cinq hommes comme Alec Guinness au début du Pont de la rivière Kwaï." Du Duffy tout craché: chacun en prend pour son grade, Anglais, Américains, Irlandais... L'opération se termine dans le sang et dans l'absurdité la plus totale, et Duffy préfère rentrer chez lui. Il en a assez vu. Bonjour au drôle de voisin et à celui qui balade une vieille lionne édentée en laisse, quelques frites, une vodka gimlet et Sam Cooke : à deux heures du matin, que demander de mieux ? Hélas, Sean Duffy est du genre indispensable : c'est lui, et nul autre, qu'on convoque dans un bar louche où un acteur américain n'a rien trouvé de mieux que d'essayer d'étrangler une fille qui refusait de partager avec lui une dose de "Paradis blanc". La fille a dû lui taper sur le crâne avec une lampe. Une affaire de coke, voilà qui n'est pas bon pour l'image de l'acteur en vogue. Il faut du tact, de la discrétion : tout à fait Sean Duffy... Toute cette affaire se termine entre gentlemen par la signature de chèques généreux, l'argent du silence pour les victimes, et un peu de coke en douce dans la poche de Duffy.

Carrickfergus_Town_from_Harbour - Pastor Sam, CC BY 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/3.0>,
via Wikimedia Commons


Jusque là tout va bien, la routine en quelque sorte. Et puis ce fichu téléphone sonne. Un double meurtre: Kelly, un bookmaker et sa femme ont été assassinés dans leur propriété. Duffy se lève : "thé, cigarettes, chocolats McVities, whisky Lagavulin : le voilà, nom de Dieu, le petit déjeuner des champions." La BM n'est pas piégée, l'autoradio diffuse les Cure et New Order, la route est pittoresque, pour un peu on se croirait en vacances. La maison des victimes est luxueuse et kitsch au possible, perchée en haut d'une falaise  à pic. Le fils de la famille, Michael, 22 ans, n'était pas à la maison, heureusement pour lui. Cette affaire-là, elle est pour le collègue McCrabban, pour qui il est temps de faire ses preuves puisqu'il vient d'être nommé sergent. Sauf que "Mystic Meg (célèbre astrologue anglaise) elle-même ne serait peut-être pas capable de prévoir le merdier cataclysmique qui vient pourtant droit sur nous par-dessus les eaux grises et froides de la mer d'Irlande." Et oui, McKinty fait le travail à notre place et annonce la couleur avec des mots qui n'appartiennent qu'à lui. 

On se doute bien que l'affaire ne se limite pas au meurtre d'un bookmaker, à une affaire crapuleuse. On s'en doute d'autant plus que bientôt, après la mort du fils de la famille qui a fait le grand plongeon du haut d'une falaise, il n'y a plus de suspect n°1. En revanche, entrée en scène d'une vieille connaissance de Duffy, Kate Albright, chef de station pour le MI5 à Belfast, venue lui proposer de quitter la police et de travailler pour elle. Et quand le MI5 s'en mêle, ça sent très mauvais… Pendant ce temps-là, l'affaire Kelly n'en finit pas de semer des morts dans son sillage : l'ancienne petite amie du fils de famille vient de se suicider. Des développements surprenants vont amener Duffy à Oxford (qui en prend pour son grade au passage) puis à Londres, voyage au cours duquel l'enquête prend un tournant singulièrement dangereux, et plus politique que prévu. Duffy a beau avoir l'habitude, il ne s'attend ni aux catastrophes qui l'attendent, ni aux tragédies qui vont une fois de plus parsemer son chemin. 

Adrian McKinty signe peut-être là un de ses romans les plus durs et les plus noirs, tout en nous gratifiant de ses légendaires considérations politico-éthico-théologiques oscillant entre cynisme, réalisme et pessimisme, et de ses jugements sans appel sur les musiciens qui l'agacent - cette fois-ci, Led Zep et Springsteen (surtout le saxophone) sont dans le collimateur. Qu'on soit d'accord ou pas avec sa vision du monde, Adrian McKinty fait preuve d'un style à la fois subtil, rentre-dedans et ironique qui donne à ses romans un caractère aussi unique que celui de son héros, flic catholique irlandais immergé dans un milieu hostile, homme solitaire et prêt à tout. Un délice de lecture.

Adrian McKinty, Des promesses sous les balles, traduit par Pierre Reignier, Fayard Noir


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