28 octobre 2015

Tony Parsons, Des garçons bien élevés : entre agacement et reddition

Ce livre est agaçant. A maintes reprises pendant la lecture, j'ai sursauté, failli le refermer, me drapant dans ma dignité, et puis finalement impossible. Il fallait que j'aille jusqu'au bout. Non pas que le suspense soit haletant : l'énigme de base est banale, une histoire de vengeance. Le mobile des crimes est dévoilé dès le début. Cool. Seul le coupable reste dans l'ombre. Et finalement, au bout du bout, on s'en fiche un peu, du nom du coupable. Aurais-je perdu l'esprit ? Oui, sans doute. 
Reprenons. Pourquoi ai-je sursauté si souvent ? Eh bien parce que Monsieur Tony Parsons a des femmes une vision bien singulière : salopes, veuves joyeuses ou mères indignes, son catalogue est haut en couleurs mais pour le moins biaisé. Seule la petite fille du héros échappe à sa vindicte misogyne. A force de s'agacer, on se renseigne. Alors voilà, je vous épargne les recherches : la 4° de couverture nous dit que le sieur Parsons a été longtemps journaliste musical au New Musical Express, notamment à l'époque punk. Pas étonnant: dans le livre, on retrouve des allusions à Jam, aux Sex Pistols et aux Clash. Jusque-là, tout va bien. Le problème, c'est que le bonhomme fait partie de ces ex-rockers qui tournent mal avec l'âge. Il épouse une autre journaliste du NME plutôt célèbre au Royaume Uni, Julie Burchill. Qui le plaque un beau jour, le laissant seul pour élever leur petit garçon. Voilà la source de cette amertume envers les femmes. Encore faudrait-il connaître la version Burchill de la séparation...
Bref, Parsons ne perd pas le nord : il publie en 1999 un roman, Man and Boy (Un homme et son fils, disponible chez J'ai Lu), consacré aux relations entre un père et son fils, qui remporte un joli succès un peu partout dans le monde. Puis éclipse... il écrit d'autres romans, sans grand retentissement. Il fait parler de lui en tant que journaliste le jour où il se mêle de parler de l'enquête sur la disparition de la petite Madeline, traitant la maréchaussée portugaise avec un mépris xénophobe particulièrement odieux... Très fort pour se faire des copains, Tony Parsons s'attaque bientôt aux tatouages et à ceux qui les portent. Enfin, il se met au polar avec Des garçons bien élevés. Et bien sûr, se met à dos le petit monde du polar anglais en affirmant que le roman policier, c'est bien gentil, mais ça manque de cœur... Il était temps qu'il arrive. Ce qui lui vaudra des dizaines de listes de lecture aimablement fournies par ses collègues auteurs de polars et leurs lecteurs furibards. Terminons en précisant, s'il en était besoin, que Tony Parsons n'est pas franchement à gauche - il a même laissé entendre qu'il était prêt à voter Ukip, et nous en aurons fini avec le portrait de cette grande gueule atrabilaire qu'on n'arrive pas à détester.
Alors ce roman ? Il commence par une scène de viol collectif tout à fait révoltante. 1988 : sept étudiants d'une pension chic, complètement bourrés, s'en prennent à une jeune fille qui a eu le malheur de tomber entre leurs sales pattes. Ça se termine très très mal...

Vingt ans plus tard, Max Wolfe, héros de la police anti-terroriste qui a réussi à arrêter à temps un fanatique prêt à tout, est maintenant affecté aux Homicides. Au passage, Parsons nous fournit force détails sur le fonctionnement de la police anglaise, mais habilement, sans ostentation, et c'est tellement bien amené qu'on finit par lui en être reconnaissant. C'est que l'homme a la plume habile. Sa première affaire s'avère délicate : Hugo Buck, banquier, vient de se faire proprement trancher la gorge. Pratiquement décapiter en fait. Sur le bureau du mort, une photo qui date de la fin des années 80 : un groupe de sept jeunes gens en tenue militaire, étudiants à la coupe mulet "style Duran Duran à Waterloo", photo prise à la célèbre pension de Potter's Field. L'homme était une sombre brute, comme en témoigne sa veuve pas très éplorée. Une brute doublée d'un obsédé sexuel de première.

Max Wolfe rentre dans son loft londonien, perplexe, tourmenté... Sa petite fille, Scout, l'attend en compagnie de Mme Murphy, sa nounou occasionnelle, et de son jeune chien Stan. Il manque quelqu'un, une mère peut-être ? Oui, il manque quelqu'un : maman est allée se refaire une vie plus sympa ailleurs. Max Wolfe élève Scout tout seul, comme un grand. Et ce n'est pas facile quand on est flic aux Homicides...

D'autant qu'il ne faudra pas attendre bien longtemps pour qu'intervienne le deuxième meurtre de ce qui ressemble maintenant à une série. Un SDF, un tox, retrouvé dans la rue, proprement égorgé, pratiquement décapité lui aussi. Sauf que sous les oripeaux du SDF se cache un fils à papa, un fils maudit, un ex de Potter's Field, Adam Jones le musicien, le poète, l'héroïnomane suicidaire... Pour la deuxième fois, Max Wolfe retrouve sur les lieux du crime l'inscription signature de l'assassin : "P O R C". Alors nous on sait déjà, on a lu les premières pages. Wolfe, non. Il va donc passer une bonne partie du livre à chercher pourquoi, pourquoi on s'attaque à ce groupe d'étudiants, qui peut leur en vouloir à ce point. Et bien qu'on sache, on va le suivre, on va marcher comme un seul homme... Jusqu'à la fin, qui n'est malheureusement pas à la hauteur de la surprise qu'on attendait...

Mais finalement, ça n'a pas beaucoup d'importance. Car le charme de ce roman tient tout entier dans le savoir-faire de l'auteur, son sens du rythme consommé, son habileté à équilibrer enquête policière, action musclée et scènes familiales plutôt bien rendues, sans mièvrerie. Parsons nous emmène au Musée noir de Scotland Yard, et on l'y suit avec curiosité. Il nous fait découvrir les rouages de la police, les dessous des grandes écoles élitistes, et au final on a du mal à lui en vouloir de certains jugements à l'emporte-pièce. Pourquoi bouder son plaisir ? Des garçons bien élevés se lit vite, avec intérêt et appétit, et même s'il ne laisse pas un souvenir inoubliable, il fait partie de ces romans qui, comme on dit, "font le job."

Tony Parsons, Des garçons bien élevés, La Martinière, traduit de l'anglais par Pierre Brévignon

2 commentaires:

  1. Oh oh oh, je l'ai sous le coude, il m'intriguait déjà, sa couv, son auteur, son éditeur....mais là j'avoue tu as su en rajouter une couche.
    Je vais aller voir ça de plus près. ;)

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  2. Je viens de le terminer.
    C'est exactement ça, ce bouquin "fait son job". Pas inoubliable. Pas trop mauvais. Ca passe.

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