6 mars 2016

Benoît Minville, "Rural noir" : quand l'adolescence envahit l'âge adulte

Certes, Rural noir est un roman...noir. Mais ce qui compte le plus dans ce livre de Benoît Minville, c'est assurément les humains, plus que l'intrigue qui les anime. Car l'intrigue la plus importante dans ce texte, c'est la vie humaine, le souvenir, la nostalgie, le manque, les mensonges par omission, la violence.
Ils étaient quatre. Quatre inséparables : Julie, Vlad, Chris et Romain. Une narration double : le passé, raconté par Romain. Et puis le présent, raconté par... un narrateur. Un hasard ? Ou bien Benoît Minville a-t-il voulu rendre plus intime, plus personnel, ce passé qui porte en germe un futur dit avec davantage de distance, d'analyse ? A nous, lecteurs, de voir... 


Dans le prologue, Romain a 14 ans, et il retrouve ses trois acolytes pour des vacances placées sous le signe du Thunderstruck d'AC/DC. Quatorze ans, la vie devant soi. Premier chapitre : Romain revient à Tamnay en Bazois, près de Nevers. Dix ans qu'il n'y a pas mis les pieds. Dix ans que ses parents sont morts dans un accident de voiture, dix ans qu'il n'a pas supporté, qu'il est parti sans se retourner, à vingt ans à peine. Pendant ce temps-là, son petit frère Chris s'est engagé dans l'armée, en est revenu traumatisé, a épousé Julie devenue infirmière, et a monté son atelier de poterie au village. Et Vlad ? Vlad, l'ami de toujours, le complice tête brûlée, l'ex-amoureux de Julie, qu'est-il devenu? Mouton noir de la bande, Vlad n'a jamais eu de limites... Il est devenu dealer, a redonné vie au restaurant du coin. Moitié ange, moitié démon.
Le retour de Romain n'est pas simple : son petit frère, Chris, n'a toujours pas compris pourquoi il avait déserté, après l'accident de leurs parents, pourquoi il l'avait laissé tomber. Ce sera un des ressorts clés de l'histoire que raconte Benoît Minville. La désertion, l'abandon. La solitude, la résistance au malheur. Et puis le souvenir, la mémoire. Comment supporte-t-on que nos amis d'autrefois ne soient plus comme avant ? Comment leur pardonner l'impardonnable ? Comment détourner les yeux face à la vérité, pour faire comme si rien n'avait changé? Cet été-là, la petite bande d'autrefois va se retrouver face à toutes ces questions. Et surtout, comment dire la vérité quand on s'est tu si longtemps?
Minville porte aussi un regard aigu sur la violence, celle des guerres qui a blessé Chris, celle qu'engendrent la solitude et la marginalité, celle induite par les trafics qui, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, ne se cantonnent pas aux centres urbains.
Autre point fort de ce roman émouvant, la description plus vraie que nature, hors clichés citadins, de la vie dans cette campagne nivernaise, pas si loin de Paris, à l'extrême limite de la Bourgogne. Avec les façons de parler plus vraies que nature - je peux témoigner de l'authenticité des expressions utilisées, il ne manque plus que l'accent, avec ses "r" roulés! Benoît Minville n'oublie pas d'évoquer les commerces fermés, l'activité économique en friche, la sensation d'abandon de ces régions rurales mais pas encore devenues touristiques, la survivance difficile de l'activité agricole, la pauvreté, la difficulté à survivre. Paradis perdu, souvenirs d'enfance à jamais écorchés, Rural noir est un livre émouvant, nostalgique, réaliste.

Benoît Minville, Rural noir, Série noire Gallimard

2 commentaires:

  1. très très bon roman, qui révèle un peu mais pas tout dans l'histoire qui laisse l'imagination faire son travail

    RépondreSupprimer

Articles récents