En refermant ce livre, j'ai été partagée entre deux sentiments : une vague honte d'avoir tant tardé à le lire, et le plaisir exaltant d'avoir encore à découvrir les autres romans de Joseph Incardona, auteur helvético-sicilien, qui a déjà à son actif une bonne douzaine de romans, des pièces de théâtre et des romans graphiques. Sans compter ses diverses participations à plusieurs courts métrages et à un long métrage, coréalisé avec Cyril Bron, Milky way. N'hésitez pas à vous rendre sur son site pour en savoir davantage.
Un homme qui réussit, tout en cumulant les thématiques du serial killer et de l'assassin d'enfants, à offrir une œuvre singulière, foisonnante, complexe, sans complaisance, est forcément intéressant...
Ce qui caractérise Derrière les panneaux..., c'est qu'il se déroule pratiquement en circuit fermé. L'univers des autoroutes, des aires de service, des péages, des zones de stationnement qu'Incardona parvient à transformer en une sorte de micromonde universel, où s'expriment les faiblesses de l'homme, ses cruautés, ses folies, ses souffrances. Vous l'avez deviné : nous n'allons pas donner dans le bucolique...
L'asphalte, les détritus, la chaleur du mois d'août, les odeurs de graillon des cafétérias, la sueur qui dégouline, l'air étouffant : telle est l'atmosphère qui va peser sur nous, lecteurs, tout au long de ce livre qu'on lit d'une seule traite, malgré (ou à cause de) une écriture exigeante, violente, heurtée, dérangeante et incroyablement efficace. Pierre, Ingrid, Pascal, Julie, Thierry, Sylvie, : c'est ainsi que s'appellent les principaux vivants de ce monde-là. Catherine, 10 ans. Marie, 12 ans. Lucie, 8 ans et demi. C'est ainsi que s'appellent les petites disparues de l'autoroute A 65. Tour à tour, Incardona nous fait pénétrer dans la vie et l'histoire de ces personnages, ces hommes et ces femmes qui vont devenir chasseurs ou chassés, victimes ou bourreaux. La souffrance infinie de celles et ceux qui ont perdu leur enfant, leur façon de vivre cette souffrance, selon qu'ils sont hommes ou femmes. Les vies détruites, le grand vide de ces vies-là. Et puis les autres, coupables, chasseurs, témoins hébétés de l'innommable.
Chaque personnage, au fil des pages, prend sa place, joue son rôle dans cette danse macabre où s'ouvrent des abîmes de noirceur et d'humanité. L'horreur qui est là, tapie derrière cette terrible danse à la James Ensor, est toujours présente, mais l'auteur, s'il joue sur la corde sensible, se garde bien de nous entraîner dans le pathos terrifiant et finalement anesthésiant qu'exploitent tant d'auteurs de thrillers. Un récit brutal, où la sexualité n'est pratiquement jamais du désir, où l'auteur éructe son mépris d'une société asphyxiée par la technologie, la bêtise, la cupidité, un livre formidablement écrit, un texte qui heurte, qui bouscule et qui émeut: Derrière les panneaux il y a des hommes n'est pas une lecture de tout repos, et on en sait gré, au bout du compte, à Joseph Incardona.
Joseph Incardona, Derrière les panneaux il y a des hommes, Finitude éditions (lauréat du Grand prix de littérature policière 2015)
Une sacrée écriture en plus ! Découverte tardive également mais... grosse et belle découverte en ce qui me concerne.
RépondreSupprimerDe plus en plus envie de le lire!
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