1 décembre 2020

Dominique Forma, Manaus : au service des Services


Décidément, le format court sied bien à Dominique Forma. Après Albuquerque, sorti en 2017 (voir chronique ici), notre homme nous entraîne à... Manaus, vous l'aurez deviné. Mais le chemin qui y mène est aussi tortueux que semé d'embûches. Nous sommes en 1964, le héros est chargé d'accompagner, de loin et en toute discrétion, la visite du général de Gaulle en Argentine. Son parcours commence à El Espinillo : c'est donc là qu'on fait la connaissance d'un homme droit dans ses bottes, du moins en apparence : "Obéir rassure sur les raisons improbables justifiant notre existence", dit-il. Ce qui ne nous rassure pas forcément, en fait. 

Caracas, la Guyane, Buenos Aires, El Espinillo : avion, voiture, bus...On comprend assez vite que sa mission est un peu plus complexe que ce qu'on a pu nous en dire : récupérer un dossier délicat et le rapporter aux autorités françaises. Pourquoi ces sauts de puces, ces détours improbables ? "Ma mission est de trouver ces Français du bout du monde." Des Français installés dans cette région reculée, réfugiés là parce qu'ils n'ont pas la conscience tranquille et surtout qu'il leur est interdit de rentrer au pays... Des traîtres, des factieux, des réprouvés. 

C'est avec une vieille femme du cru qu'il a rendez-vous., c'est elle qui va lui remettre une arme et le plan pour parvenir à l'étape suivante et à l'homme qu'il doit retrouver, un dénommé Jouffroy Gerderault qui ne sait pas encore que ses minutes sont comptées. Notre héros est un soldat, il obéit aux ordres, ne cherche surtout pas à en savoir plus. Il faut éliminer Gerderault, Gerderault va mourir. Une fois sa tâche accomplie, notre homme pourra rentrer chez lui, à Nancy.

Asuncion, Paraguay. L'heure d'un dernier debriefing avant le retour au bercail. A moins que... Non, la mission de notre héros n'est pas terminée.  Ou plutôt, il a un dernier rendez-vous avant le retour. A ce rendez-vous-là, il va retrouver une vieille connaissance. Un homme qu'il a connu en Algérie, un ancien de l'OAS, exilé en Amérique du sud. Un vieil ami, en quelque sorte. L'ex-capitaine Charles de Cyrène. Et là, ce qu'on pressentait se confirme : le héros n'est pas seulement un redoutable soldat, un homme aux ordres. C'est aussi un immonde salopard. Je vous laisse découvrir la suite de son parcours et de sa mission qui prend tout à coup une drôle de forme, explorer avec Dominique Forma les paysages des bords de l'Amazone, la jungle, les villages misérables, l'atmosphère poisseuse, humide, vénéneuse, les hommes sans foi ni loi, les femmes plus ou moins fatales, les mauvaises rencontres, les trahisons. 

En 150 pages, l'auteur a le don de nous embarquer dans une aventure exotique, et en même temps de nous révéler les profondeurs insondables de la nature humaine, de nous montrer de quoi sont capables les âmes perdues, de nous replonger dans les sales secrets d'une histoire pas si lointaine. Pas un mot de trop : l'écriture est tantôt aussi sèche que l'homme qui sert de héros à la "novella", tantôt fleurie comme celle d'un roman d'aventures des années 60, tantôt cynique et sans pitié, comme l'histoire qu'elle nous raconte. Pari réussi, une fois de plus, pour Dominique Forma : la morale n'est pas sauve, la frontière entre le bien et le mal est souvent floue, et l'homme est un redoutable animal.

Dominique Forma, Manaus, La Manufacture de livres

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