En 2014, les éditions Ecorce publient Pur Sang, un petit bijou dans lequel Franck Bouysse exprime sa passion pour l'Amérique des grands espaces et son attachement à la terre du Limousin, celle où il vit, travaille et écrit. Avec en toile de fond universelle l'amour et la connaissance de la nature, végétale et animale. Une histoire d'origines, d'identité, une histoire de rencontre et d'exil.
FB: Oui, cette thématique de l'identité est majeure, et elle est universelle. Comme dans Grossir le ciel d'ailleurs. Je crois que c'est une raison pour lesquelles ce livre plaît à des lectrices et des lecteurs très différents. Je pense à un lecteur en particulier qui raconte qu'il offre le livre en cadeau à tous ses amis, c'est incroyablement émouvant. Qu'est-ce qui nous construit, qu'est-ce qui nous fonde ? L'identité, les racines...
FB : Cette fascination pour l'histoire des Etats-Unis et l'extermination des Indiens d'Amérique m'est venue de la littérature américaine, surtout avec Faulkner, qui est vraiment la pierre angulaire. Puis je suis remonté à Steinbeck, jusqu'à Jim Harrison, et en chemin j'ai découvert des gens comme McCarthy, Burke, puis Robert Gerardi. J'en suis venu à m'intéresser à cette dichotomie entre la barbarie et le génocide des Indiens et des valeurs américaines plutôt humanistes. C'est une chose qui me hante. J'ai commencé à lire beaucoup sur le sujet : Enterre mon cœur à Wounded Knee de Dee Brown par exemple, ou Ne vends jamais les os de ton père de Brian Schofield, qui parle justement de Chef Joseph et de la tribu des Nez percés dont il est question dans Pur sang. Cette idée d'appropriation totale du territoire, ce besoin de balayer totalement la culture, tout cela me révolte. C'est pour cela que j'ai créé ces personnages de Papa et Mama Tulssa, qui sont des personnages purement fictifs : à ma connaissance, aucun survivant du massacre de Big Hole ne s'est retrouvé dans un bled perdu du Montana.
FB : Tout est parti d'une histoire vraie : celle d'un couple français disparu corps et bien aux Etats-Unis. J'avais cette histoire en tête depuis des années, mais je ne voulais pas la raconter comme un fait divers. Il fallait que ce soit mon histoire et qu'elle tienne debout.
FB : Je suis allé sur les lieux du drame. Et la première voix que j'ai entendue là-bas venait d'une maison près du château, et c'était celle d'un Écossais. Tout de suite il m'a demandé si je venais voir les os. Car cette histoire est vraie, il existe vraiment, ce petit sarcophage dans le château. Et puis je résolvais ainsi le problème de la langue et de la communication entre les deux hommes. Donc John Gray s'est imposé de lui-même. En plus je ne voulais pas que ce soit un Anglais : j'avais envie qu'il s'agisse de quelqu'un issu d'un peuple rebelle. Un Écossais donc. Et en plus un exilé.
FB: Je suppose que cette précision me vient, en partie, de ma formation. J'ai surtout besoin de poésie. Il se trouve que de plus en plus, dans mon écriture, j'ai besoin de précision. Je me raccroche à ce que je connais. Les thématiques que j'aborde actuellement sont placées dans des milieux baignés de végétation, d'odeurs, naturellement, ma formation me sert. Mais même quand j'aborde des sujets dont je ne suis pas spécialiste, je fais ce qu'il faut en termes de recherche pour être précis, pour que les mots que j'utilise aient une signification et impulsent un rythme à la phrase. Il faut qu'ils s'inscrivent dans la phrase autant par le sens que par la musique.
La musique est capitale pour moi. C'est une passion qui rejaillit sur ma vie de lecteur aussi : on a beau me raconter de formidables histoires, ça ne fonctionne pas si je ne "chope" pas la musique. Et ça devient terrible, parce que je repose plein de bouquins en ce moment. Hier, j'écrivais et je me suis mis un adagio de Barber, des Agnus Dei, car je devais décrire une maison abandonnée. Je la voyais, mais il me manquait des sensations. Et la musique m'apporte ça : en plus de la carcasse, je rentre dedans grâce à la musique.Et les phrases que je construis après en sont baignées. La musique rejoint mes intentions.
Je choisis la musique que je vais écouter en fonction de ce que je suis en train d'écrire. Ça peut très bien être de la musique avec des paroles d'ailleurs, puisque je ne suis pas bilingue ! Quand j'écoute de la musique avec des paroles en anglais, il y a la musique mélodique et instrumentale, et en plus la musique des mots. J'ai quelques albums fétiches qui me transportent et même qui me conduisent à l'écriture. Parfois, c'est même un peu comme un échauffement de sportif : j'écoute 15 mn de musique, et je suis prêt à démarrer. Le dernier album de Billie Holiday, à peu près tous les albums de Antony and the Johnsons, les suites de Bach qui sont extraordinaires pour écrire parce qu'on y perçoit des rythmes passionnants, Robert Johnson, Frank Stokes,... Ça peut être aussi Marianne Faithfull. Je suis très sensible aux voix de soprano: Dessay, Fleming. Et pas du tout aux voix lyriques masculines curieusement : elles sont à la limite de l'agression pour moi. Je ne suis pas musicien... Mais un des plus beaux compliments qu'on m'aie fait m'est venu d'un guitariste qui m'a dit qu'il ne comprenait pas comment on pouvait parler si bien de la guitare sans en jouer. J'ai ça en moi de façon viscérale...
En termes d'écriture, j'ai senti qu'il se passait quelque chose avec Vagabond. Un de mes amis me dit qu'il s'agit de ma profession de foi en écriture, et je suis assez d'accord avec lui. Après, j'ai eu l'impression de tirer un fil. J'ai trouvé ce qui me convient en écriture, ce qui me donne de l'émotion quand j'écris. Et paradoxalement, c'est de plus en plus laborieux, dans le sens où je travaille de plus en plus. Je suis devenu d'une insatisfaction sans limite : je travaille en ce moment à mon prochain roman et je passe des heures sur une phrase... Et pour autant, j'y prends un plaisir incroyable. Toutes ces heures passées trouvent leur aboutissement dans ces quelques minutes où je me dis "Là, ça y est, j'y suis!". Pas dans le sens "ça y est, je suis le meilleur!", mais au sens où je sais que j'ai trouvé exactement les bons mots, le bon rythme. Avec Grossir le ciel, j'ai beaucoup travaillé. C'est le dégraissage ultime ! La différence est sûrement là. J'ai repris ce livre tellement de fois...
En fait, je n'ai qu'un reproche à faire à Pur Sang: une fin un peu trop rapide, et avec elle le désir d'aller plus loin avec ces personnages, ceux d'aujourd'hui et ceux du passé, celui de pousser la vérité dans ses derniers retranchements, d'aller jusqu'au cœur de l'histoire et d'en tirer tous les fils que Franck Bouysse a abandonnés entre nos doigts.
La chronique de Vagabond
L'interview "en roue libre" de Franck Bouysse
La chronique de Grossir le ciel
Franck Bouysse, Pur Sang, Écorce éditions, 2014
FB: Moi aussi, j'ai un peu de mal à me séparer du personnage de Elias Greenhill. Au départ, Pur Sang était conçu comme le premier volet d'une trilogie. J'avais d'ailleurs une figure imposée par mon éditeur : un certain nombre de pages. Arrivé au bout, je lui ai dit que j'avais écrit la suite... Qui devrait donc être publiée en 2017. Avant cela, mon prochain roman sortira probablement début 2016 dans la nouvelle collection "Territori" lancée par la Manufacture de livres avec les éditions Écorce.A lire aussi :
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Franck Bouysse, Pur Sang, Écorce éditions, 2014
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